[Tribune] La crise liée au coronavirus va très certainement avoir un impact majeur sur le paysage économique français et, notamment, sur les réseaux de distribution. Il est probable que cette crise entraîne de profondes mutations dans le commerce et qu’elle soit également vecteur de nombreuses innovations. Par Christophe Grison, avocat et membre du Collège des experts de la Fédération française de la franchise, et Caroline Jouven, avocat associé.
Les innovations constitueront les actifs immatériels de demain des têtes de réseau qui doivent, d’ores et déjà, entreprendre une démarche de valorisation de ces actifs. Ceci dit, cette démarche n’a de sens que si ces actifs bénéficient d’une protection juridique efficace. Il s’agit, ni plus ni moins, de mettre en place un cercle vertueux : la valorisation permet, notamment, de révéler des lacunes dans la protection de certains actifs immatériels stratégiques, et la protection de ces mêmes actifs assure une meilleure valorisation du capital immatériel du réseau de distribution. En ce sens, la loi n°2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires peut offrir une opportunité pour les têtes de réseau d’assurer la protection de leurs actifs immatériels et de contribuer à leur valorisation.
Secret des affaires
Rappelons que pour bénéficier de cette loi, il est nécessaire que l’information à protéger soit secrète, c’est-à-dire non communément accessible à la plupart des milieux intéressés ; présente “
une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret” de telle sorte qu’un concurrent serait prêt à verser une somme d’argent pour l’acquérir ; et son détenteur légitime doit avoir mis en œuvre des mesures de protection raisonnables (art. 151-1 du code de commerce). Dès lors, les têtes de réseau devront déterminer – parmi leurs actifs immatériels – lesquels sont susceptibles de relever du secret des affaires et méritent une protection en tant qu’actifs stratégiques. Par conséquent, le bénéfice de cette loi suppose d’avoir préalablement entrepris une démarche de valorisation des actifs immatériels. Prenons l’exemple d’un franchiseur qui a entrepris une démarche de valorisation de ses actifs immatériels ayant révélé une potentielle défaillance dans la protection de son savoir-faire. Rappelons que son manuel de savoir-faire peut être protégé par le droit d’auteur. L’action en contrefaçon de droit d’auteur peut permettre d’agir à l’encontre d’anciens franchisés qui souhaiteraient s’approprier, sans bourse déliée, son savoir-faire.
Clauses nécessaires
Cependant, pour bénéficier du droit d’auteur, le franchiseur doit apporter la preuve de la date de création de son manuel de savoir-faire afin de justifier de la titularité de ses droits sur ce manuel. Cette preuve peut être réalisée par une enveloppe
Soleau, un dépôt auprès d’un officier ministériel, par exemple. Si le droit d’auteur peut s’avérer pertinent pour protéger un manuel de savoir-faire original, il n’est pas forcément bien adapté à la protection d’un savoir-faire nécessairement évolutif, comme l’est celui d’un franchiseur. Afin de protéger ce savoir-faire, la tête de réseau pourra opportunément stipuler des clauses au sein de son contrat de franchise. Cependant, il peut arriver qu’une clause de non-concurrence post-contractuelle soit réputée non-écrite – non pas parce que la tête de réseau n’aurait pas de savoir-faire – mais parce que la clause est mal délimitée spatialement ou bien comporte une durée trop longue. Aussi, une action fondée sur la responsabilité contractuelle de l’ancien franchisé peut parfois être compromise.
Préjudice pécuniaire
Ce franchiseur pourrait alors être tenté d’engager la responsabilité délictuelle de son ancien distributeur utilisant son savoir-faire. Cependant, il pourrait être plus intéressant de se fonder sur la loi relative à la protection du secret des affaires. En effet, contrairement à l’action en concurrence déloyale, celle fondée sur la loi relative au secret des affaires permet au franchiseur d’obtenir des dommages et intérêts résultant de l’enrichissement de celui ayant utilisé son savoir-faire. Or, le préjudice subi par le franchiseur (manque à gagner et perte subie, perte de chance et préjudice moral causé par les agissements de son ancien franchisé) peut être bien moindre que les bénéfices que l’auteur de l’atteinte peut avoir réalisé en utilisant ce savoir-faire. Il convient d’ajouter que le législateur a prévu que le franchiseur pourra également demander au juge, à titre d’alternative, de lui allouer, à titre de dommages-intérêts, une somme forfaitaire tenant notamment compte des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte lui avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires. Cette option peut être intéressante car elle facilite, pour une tête de réseau n’ayant pas engagé de démarche de valorisation de ses actifs immatériels, le calcul du montant du préjudice pécuniaire qu’elle a subi. Néanmoins, une indemnisation se limitant à la redevance pourrait être déconnectée du préjudice réellement subi par le franchiseur et son réseau. Voici encore une preuve de l’intérêt d’une démarche de valorisation des actifs immatériels. Une tête de réseau qui s’est engagée dans une telle démarche, pourra d’autant mieux justifier de son préjudice, et ainsi obtenir une indemnisation plus conséquente que celle laissée à la libre appréciation des juges du fond et qui, faute d’éléments démontrant la valeur du savoir-faire transmis, peut être relativement faible.
Concurrence déloyale
Se placer sous la loi relative au secret des affaires assure également la protection des informations stratégiques liées au savoir-faire au cours de la procédure judiciaire puisque les personnes ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires sont tenues à une obligation de confidentialité, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’une action en concurrence déloyale alors que, bien souvent, le franchiseur devra révéler, au moins en partie, son savoir-faire afin de faire constater les actes de concurrence déloyale. Ces mesures de protection qui peuvent être prises par la juridiction lorsque le franchiseur se fondent sur la loi relative à la protection du secret des affaires sont particulièrement les bienvenues car une fois l’élément de savoir-faire divulgué, il constitue une perte irrémédiable d’un actif immatériel stratégique pour le franchiseur et son réseau. La loi relative au secret des affaires doit ainsi permettre aux têtes de réseau d’adopter une démarche d’audit, de structuration et d’identification des informations et éléments stratégiques qu’il parait pertinent de conserver secrets ce qui,
in fine, en assurera la valorisation. En tout état de cause, cette démarche de valorisation des actifs immatériels nécessitent des expertises multiples (gouvernance, propriété intellectuelle, organisation de la chaîne de distribution et de la logistique, droit social, fiscalité, stratégies organisationnelles des réseaux de distribution, stratégies e-commerce, etc.) afin de permettre au réseau de distribution d’en tirer tout le bénéfice de croissance et de développement répondant aux objectifs de son plan d’action d’après crise.