Les ententes prohibées par l’article 101 §1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) peuvent bénéficier d’une exemption individuelle au titre de l’article 101 §3 – sous réserve de contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte – ou d’une exemption par catégorie au titre notamment du règlement (UE) n°330/2010 du 20 avril 2010. François-Luc Simon, Associé-gérant, Simon Associés – Docteur en Droit – Membre du collège de la Fédération française de la franchise.
Ce règlement d’exemption, lequel est complété par des Lignes directrices sur les restrictions verticales, permet ainsi de soustraire les accords verticaux de l’interdiction de l’article 101 §1, à condition notamment que chacune des parties détienne moins de 30 % de parts de marché. En vigueur depuis le 1er juin 2010, le règlement d’exemption expire le 31 mai 2022 et fait ainsi l’objet d’une évaluation par la Commission depuis octobre 2018, comprenant une consultation publique des parties prenantes.
Si la franchise n’est actuellement pas visée par le règlement 330/2010, certaines voix souhaiteraient néanmoins qu’elle le soit dans le nouveau règlement d’exemption. Or, l’exclusion de la franchise du règlement d’exemption est justifiée par le fait que, celle-ci n’étant pas en elle-même restrictive de concurrence, elle n’a pas besoin d’être exemptée. Cette solution est en effet admise par la Cour de justice de l’Union européenne depuis l’arrêt Pronuptia de 1986, dans lequel la Cour énonçait que la franchise, “
qui permet au franchiseur de tirer parti de sa réussite, ne porte pas atteinte en soi à la concurrence”, et considérait que, “
plutôt qu’un mode de distribution”, la franchise est “
une manière d’exploiter financièrement, sans engager de capitaux propres, un ensemble de connaissances”, (
CJCE, 17 déc. 1986, Pronuptia, aff. 161/84).
Les contrats de franchise contiennent par ailleurs quasi systématiquement des restrictions de concurrence, telles que des exclusivités territoriale, d’approvisionnement ou d’activité, ou encore des obligations de non-concurrence post-contractuelle, lesquelles sont examinées au regard de l’article 101 §1, comme la jurisprudence Pronuptia l’y invite, en tant que restrictions “accessoires” à la franchise.
Rappelons à ce titre que lorsqu’une opération principale n’est pas restrictive de concurrence, les clauses restrictives qui lui sont accessoires ne relèvent pas de l’article 101 §1 du TFUE dès lors que “
la restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre” (
CJUE, 23 janv. 2018, n° C 179/16, Roche et Novartis, pt. 68). Ainsi, la franchise n’étant pas restrictive de concurrence, les restrictions accessoires à l’opération de franchise sont également considérées comme conformes au droit des ententes. À l’inverse, si l’on faisait application de l’exemption par catégorie pour les restrictions de concurrence contenues dans les contrats de franchise, celles-ci devraient en respecter les conditions, notamment en ne tombant pas dans le champ des restrictions caractérisées (
art. 4 du règlement 330/2010) ou des restrictions exclues (
art. 5).
Restriction accessoire
La Cour avait donc choisi d’appliquer la théorie des restrictions accessoires, estimant ainsi que les clauses “indispensables” à la protection du savoir-faire et de l’assistance, tout comme les clauses qui organisent le contrôle “indispensable” à la préservation de l’identité et de la réputation du réseau ne constituent pas des restrictions de concurrence puisqu’elles sont nécessaires au fonctionnement de la franchise. C’est notamment le cas des clauses de non-concurrence, lesquelles permettent au franchiseur de transmettre son savoir-faire et son assistance aux franchisés sans risquer qu’ils profitent aux concurrents ; et des clauses d’application du savoir-faire, d’aménagement des locaux ou encore d’approvisionnement, lesquelles permettent au franchiseur de prendre des mesures propres à préserver l’identité et la réputation du réseau. Alors qu’une clause d’approvisionnement exclusif ne pourrait bénéficier de l’exemption par catégorie qu’en respectant la durée maximale de cinq ans fixée par l’article 5 du règlement, une telle clause pourra dépasser cette durée si elle considérée comme une restriction accessoire à l’opération de franchise (
Cass. com., 20 déc. 2017, n° 16-20500, n° 16-20501). Le risque, en visant la franchise dans le nouveau règlement d’exemption, est de considérer qu’il s’agit d’une opération restrictive de concurrence et ainsi de ne plus pouvoir faire application de la théorie de l’accessoire pour apprécier la licéité des restrictions contenues dans une opération de franchise. Ce raisonnement mènerait ainsi à faire application des conditions posées par le règlement d’exemption, lesquelles sont beaucoup plus rigides et menacent donc la franchise, dont le sauvetage par le biais de l’exemption individuelle parait en outre assez illusoire.
À lire : Pronuptia, trente ans après … Cass. com., 20 décembre 2017, n°16-20.500 et 16-20.501 (deux arrêts), LDR janvier-février 2018