Saisir les tribunaux afin de demander une requalification de votre contrat de franchise en contrat de travail n’est pas sans conséquences. En effet, une décision de la cour d’appel de Rennes a validé la demande de Pôle emploi, qui réclamait à un franchisé les aides perçues pour créer son entreprise… Décryptage
Entre un franchiseur et un franchisé, la vie n’est pas un long fleuve tranquille et des dissensions importantes peuvent émerger, amenant le partenaire à demander la requalification du contrat de franchise. “Pour que cela soit valide, il faut que le franchisé parvienne à démontrer qu’il existe un véritable lien de subordination entre la tête de réseau et lui, qu’il prouve qu’il n’est pas indépendant”, détaille Clémence Casanova, avocate au sein du cabinet Linkea. Un travail qui n’est pas simple et qui peut prendre des années. Parmi les arguments jugés recevables par un juge dans une telle procédure, on peut notamment citer les prix imposés ou les horaires d’ouverture fixés par le franchiseur. Toutefois, avant de vous lancer, la prudence est de mise. “Car il ne faut pas oublier qu’en intégrant un réseau de franchise, on accepte la transmission d’un savoir-faire et d’un concept. Avant de porter l’affaire auprès des tribunaux, interrogez-vous si ce qui vous est imposé par le franchiseur, est justifié dans le concept ou si, au contraire, cela va à l’encontre de votre indépendance”, prévient Clémence Casanova.
Droit social
En effet, si jamais votre démarche aboutit et que le tribunal vous donne gain de cause, votre contrat de franchise devient alors un contrat de travail. “À partir de là, c’est le droit social et le droit du travail qui s’applique, entraînant notamment le remboursement du droit d’entrée, un rappel de salaires et de congés payés, des indemnités compensatrices de préavis et de licenciement, etc. La facture pour la tête de réseau peut être salée”, insiste l’avocate. Par exemple, un franchisé de la région de Rennes a obtenu près de 150 000 euros d’indemnités en voyant son contrat de franchise requalifié. À l’époque, le membre du réseau a vu son contrat résilié par l’enseigne et a saisi le conseil des prud’hommes pour demander la requalification de son contrat. Une demande qui a été validée en 2008 et confirmée par la cour d’appel deux ans plus tard puis par la Cour de cassation en 2012.
“Dans ce dossier, le franchiseur a notamment dû verser 10 000 euros d’indemnités pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que 54 000 euros de rappel de salaires”, détaille Clémence Casanova. Des sommes qui auraient pu être plus importantes si le franchisé était membre du réseau depuis longtemps. “Dans cette affaire, le franchisé a lancé la procédure deux ans après avoir signé son contrat”, confirme Clémence Casanova. Une fois le franchisé indemnisé, l’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais Pôle emploi, qui a eu connaissance de cette décision, a saisi le tribunal de grande instance de Rennes considérant que les aides versées à l’ex-franchisé au titre de l’ARCE (Aide à la reprise ou à la création d’entreprise) pour lancer son entreprise n’étaient plus justifiées. “Pôle emploi réclamait donc les 63 000 euros touchés à l’époque”, précise Clémence Casanova.
Société autonome
Dans un premier jugement, le tribunal a débouté Pôle emploi de sa demande. Mais la cour d’appel de Rennes a rendu un avis contraire en mai 2019, précisant que l’ancien franchisé était condamné à rembourser les aides perçues. Pour se défendre, ce dernier avançait que la demande de Pôle emploi était infondée puisque prescrite, l’ARCE ayant été perçue en 2006, au moment de la signature de contrat de franchise. “Mais la cour a déterminé que le point de départ du délai de prescription était l’année 2012, date à laquelle le contrat a été requalifié de manière définitive”, explique Clémence Casanova. Sur le fond, le tribunal a considéré par ailleurs que le franchisé devait rembourser l’ensemble des aides perçues au moment de la création d’entreprise car la société qu’il avait créée n’avait pas d’existence autonome en dehors du contrat de franchise.
“Puisque la requalification du contrat fait que l’ancien franchisé était considéré, au final, comme un salarié, la cour a estimé qu’il n’y avait pas eu de création d’entreprise”, analyse Clémence Casanova. Une décision inédite selon l’avocate. “Je n’avais encore jamais vu un tel arrêté, confie-t-elle. On ne sait pas encore si le franchisé va se pourvoir en cassation mais ce serait bien que la cour se prononce sur un tel fait.” En effet, cette décision pourrait impacter les futurs membres de réseaux qui souhaiteraient, en cas de problèmes avec leur enseigne, demander la requalification de leur contrat. “La conséquence peut être importante. Si cette décision fait jurisprudence, les franchisés devront bien faire leurs calculs avant d’entamer une procédure judiciaire. Car, même s’ils sont indemnisés d’un côté, je ne vois pas comment ils peuvent s’y retrouver financièrement…”, conclut Clémence Casanova. Prudence donc !