Deux acteurs majeurs de la grande distribution viennent de prendre des participations respectives dans Gorillas et Cajoo. Cette bulle financière ne doit pas faire oublier des business models qui vont progressivement s’industrialiser à la faveur de ces partenariats.
Au début du mois de septembre, le groupe Carrefour annonçait une prise de participation dans la startup Cajoo, spécialisée dans la livraison en moins de 15 minutes. La semaine dernière, c’était au tour du groupe Casino de conclure un partenariat avec Gorillas. Depuis le printemps 2021, l’engouement ne se dément pas pour ce qui semble être un nouvel eldorado. Pourtant, au-delà de ces prises de participation médiatiques, cette frénésie est-elle vraiment logique ?
“Tel qu’il est présenté, le modèle actuel du quick commerce n’est pas rentable. On le voit, à la faveur de levées de fonds colossales, ces start-ups travaillent surtout, d’un point de vue marketing, à l’acquisition d’une base clients”, explique Philippe Goetzmann, conseil stratégique/conférencier retail et grande consommation. Comme ce dernier l’explique, Carrefour et Casino doivent impérativement être à l’affût des nouvelles tendances et observer ce qui pourrait devenir un pôle concurrentiel agressif.
“Si ce modèle fonctionne, dans les cœurs de ville, et remporte un vif succès, ces nouveaux acteurs deviendront les premiers concurrents de Casino et Carrefour très bien implantés dans les métropoles. Il est impératif pour ces deux groupes de pouvoir allumer très vite un contre-feu”, poursuit Philippe Goetzmann.
Certains voient cette nouvelle tendance d’un œil très critique. C’est le cas d’Emmanuel Le Roch, pour qui nous assistons à une véritable bagarre entre des acteurs dont l’objectif n’est pas d’être rentable.
“Le but est d’aller le plus vite possible pour prendre des parts de marché à grands renforts de levées de fonds”, explique ce dernier. Et le délégué général de Procos de poursuivre :
« La problématique du quick commerce est qu’il n’apporte rien au bien-être des citoyens. C’est un mini-entrepôt, qui n’a pas pignon sur rue et qui ne joue pas le rôle d’animation dans une ville. Nous sommes sur des problématiques de livraison pure et d’efficacité logistique. Ce qui me paraîtrait ubuesque mais pas impossible, c’est que d’un seul coup tout le monde se dise que la livraison en 10 minutes est le modèle idéal”
Dans un communiqué de presse, Casino donne quelques pistes de réflexion sur les tenants et aboutissants de ce partenariat.
“À travers cet accord, le groupe Casino donne accès à Gorillas à ses produits de marque nationale et aux produits de marque Monoprix […]. Ces produits seront disponibles sur la plate-forme Gorillas et livrés en quelques minutes, à Paris, Lille, Bordeaux, Lyon et Nice”, précise le groupe dirigé par Jean-Charles Naouri. Avant d’ajouter :
“Dans un second temps, le groupe Casino s’appuiera sur l’expertise technologique et opérationnelle unique de Gorillas, qui assurera depuis ses magasins en France la préparation et la livraison ultra-rapide de commandes en ligne, passées par les clients sur les propres plates-formes de Monoprix et Franprix.” De son côté, Carrefour expliquait que la prise de participation dans la start-up doit s’accompagner aussi
“d’un partenariat industriel exclusif portant notamment sur l’approvisionnement et la logistique opérationnelle dans les darkstores de Cajoo.”
Pour Philippe Goetzmann, cette alliance devrait permettre à Gorillas et Cajoo d’avoir également accès aux conditions d’achat de ces deux acteurs majeurs de la grande distribution. Et donc de multiplier le nombre de références possibles. Ce qui est loin d’être négligeable.
“Pour ces deux start-ups, la possibilité de faire pivoter leur modèle au niveau de leurs offres respectives, en travaillant sur leurs marges et en gagnant en efficacité. Il est très facile d’implanter un dark store à proximité d’un Carrefour market ou d’un Franprix”, note le consultant. Pour le moment, nous sommes sur des problématiques de livraison alimentaire. Mais pour Emmanuel Le Roch, le quick commerce va faire baisser mécaniquement les flux dans un certain nombre de magasins d’alimentation en zone urbaine. Pour le délégué général, l’intérêt du commerçant est de faire venir les clients dans son magasin, puis dans un deuxième temps, si l’un de ses clients souhaite être livré chez lui :
“Avec le ship from store, on livre un client depuis la réserve du magasin. Si la réserve du magasin est déportée mais n’est pas dans le point de vente, cela n’a pas d’impact majeur sur l’activité.”
Article réalisé en collaboration avec
Camille Boulate.