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Loi travail : “logique économique et progrès social ne sont en rien antinomiques dans la franchise”

L’article 29 bis A (nouveau) du projet de loi El Khomri qui vise à instaurer, “dès lors qu’un réseau de franchise compte au moins cinquante salariés dans les franchisés”, une “instance de dialogue” qui comprendrait “des représentants des salariés élus (et) un représentant des franchisés” et qui serait “présidée par un représentant du franchiseur” suscite de nombreuses questions. L’Officiel de la Franchise s’est rapproché de Rémi de Balmann, avocat à la cour d’Appel de Paris, associé-gérant, responsable du département distribution franchise du cabinet D, M & D et coordinateur du collège des experts de la Fédération française de la franchise, pour recueillir son avis. Je ne peux parler qu’en mon nom personnel et non pas au nom du collège des experts de la Fédération française de la franchise dont je ne suis que le coordinateur et qui compte des avocats, des experts-comptables, des consultants, de sensibilités diverses. Mais les sachant tous soucieux de défendre le modèle de la franchise, je ne doute pas exprimer l’opinion de la majorité sinon même de la totalité de ce collège en disant que nous nageons en pleine confusion. Ce dispositif visant à créer une “instance de dialogue du réseau de franchise” apparaît comme un véritable ovni juridique. Il faut à cet égard avoir bien à l’esprit que le projet initial du gouvernement ne prévoyait en rien de s’attaquer (au sens propre comme au sens figuré) aux réseaux de franchise. Rien dans le projet de loi déposé le 24 mars 2016 à l’Assemblée nationale ne visait les réseaux de franchise. En vérité, cette fameuse “instance de dialogue dans le réseau de franchise” a été suggérée sous forme d’amendement par quelques députés de la commission des affaires sociales.  

Quid du débat ?

Il faut savoir que cet amendement n’a pas été retenu par la commission des affaires sociales, le rapporteur du texte ayant objecté qu’il “propose une réforme extrêmement lourde (…)” et faisant valoir que “certains éléments techniques nécessiteraient sans doute une concertation avec les entreprises concernées”. Le “sans doute” est sans doute de trop… Quoi qu’il en soit, le rapporteur a ainsi plaidé (sic) “pour que l’amendement soit retiré afin que nous l’examinions en séance”. L’un des promoteurs de l’amendement devait alors lui-même avouer que “ce texte était considéré comme un amendement d’appel, destiné à susciter un débat que nous aurons certainement en séance”. Or et c’est pour le moins un comble, le gouvernement a repris à son compte cet amendement dans le projet destiné à être discuté en séance publique … pour finalement user de l’arme du 49-3 à l’encontre de ceux-là même qui l’avait imaginé. De sorte que cet amendement est passé sans qu’il ait été discuté ne serait-ce qu’une seconde en séance publique. Quitte à devoir recourir à nouveau au 49-3, fasse que le gouvernement expurge du texte qui sera soumis en deuxième lecture aux députés ce dispositif qui – susceptible d’impacter un secteur crucial de l’économie – ne saurait être adopté sans débat !  

L’indépendance du franchisé est-elle remise en cause ?

Car sur le fond, comment ne pas admettre que ce dispositif se heurte à de solides objections. La franchise en effet n’est pas une zone de non droit pour les salariés, bien au contraire. Qu’ils soient salariés des franchisés ou salariés des franchiseurs, les uns et les autres jouissent – et c’est bien normal – de la plénitude des droits sociaux attachés aux entreprises auxquelles ils appartiennent. Et pourquoi donc prévoir d’inventer un système dont la mise en œuvre tournerait le dos aux principes fondamentaux sur lequel les réseaux se sont développés avec un succès évident, profitable à l’ensemble de l’économie ? Et si je parle d’inventer un système qui devrait s’appliquer à la franchise, c’est parce que le dispositif prévu consiste bel et bien à créer de toutes pièces une nouvelle catégorie parmi les institutions représentatives du personnel. Ainsi et aux différentes catégories d’institutions représentatives du personnel prévues dans le livre III de la deuxième partie du code du travail (au premier rang desquels figurent les délégués du personnel, les comités d’entreprise et les comités de groupe), viendrait s’ajouter une deuxième et nébuleuse catégorie, cette fameuse “instance de dialogue”. Cependant– et c’est là que le bât blesse – il s’agirait d’instaurer un dispositif en totale opposition avec les principes mêmes des réseaux. Pourquoi d’ailleurs se focaliser sur la franchise et lui réserver un sort particulier, au détriment – dans l’esprit du législateur – des salariés d’autres réseaux, qu’il s’agisse des réseaux de concession, de licence de marque, de distribution sélective, de commission affiliation et d’autres encore ? Il est pour le moins dangereux par ailleurs que ce dispositif n’ait fait l’objet d’aucune concertation préalable, ni d’aucune étude d’impact. Après tout, le législateur aime peut-être parfois jouer aux apprentis sorciers… Mais, là, attention : ce dispositif anéantit le principe cardinal autour duquel s’organisent les réseaux et qui est celui de l’indépendance entre la tête de réseau et les distributeurs.  

Allons-nous vers une explosion des réseaux ?

Appliqué à la franchise, ce principe est énoncé dans le code de déontologie européen de la franchise qui parle d’une “collaboration étroite et continue entre des entreprises juridiquement et financièrement distinctes et indépendantes”. Prétendre instaurer un dialogue entre les salariés des franchisés, les franchisés et le franchiseur est donc bel et bien intrinsèquement un non-sens, sauf à favoriser l’ingérence des franchiseurs dans la gestion des franchisés, ce que précisément ces derniers – en tant qu’entrepreneurs indépendants – ne veulent pas. Le franchiseur n’est pas le patron des franchisés et ceux-ci sont de véritables chefs d’entreprise qui n’entendent pas voir s’immiscer la tête de réseau dans leurs affaires. Et comme l’a souligné avec force un éminent spécialiste du franchisage, le professeur Philippe Le Tourneau (Les contrats de franchisage, éd. Litec, 2ème édition, 2007, pages 248 et s.) : “Bien que soumis à de nombreux contrôles et à une domination économique de fait, le franchisé reste juridiquement indépendant du franchiseur (…). Cette vérité juridique est ressentie comme une réalité par les franchisés qui se considèrent presque tous comme de véritables commerçants, indépendants des franchiseurs (…). Elle est une condition indispensable du franchisage (…). Le franchisé, gardant son indépendance, est propriétaire de son fonds de commerce”. Or et à cet égard – pour prendre un exemple parmi d’autres – il est notamment prévu que : “L’instance de dialogue est informée trimestriellement sur l’activité, la situation économique et financière, l’évolution et les prévisions d’emploi annuelles ou pluriannuelles et les actions éventuelles de prévention envisagées compte tenu de ces prévisions, la politique sociale et les conditions de travail de l’ensemble du réseau” ou encore “des décisions concernant l’organisation, la gestion et la marche générale du réseau de franchise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle ?!” Que pourrait entraîner la mise en œuvre d’une telle disposition sinon l’explosion des réseaux au sein desquels chaque franchisé devrait pouvoir continuer d’avoir seul la maîtrise de sa gestion ? Il serait d’ailleurs intéressant de savoir ce que penseront les autorités de la concurrence de ce dispositif qui – sous couvert d’informations – provoquera de toutes pièces un système d’ententes. Même s’il appartient à un réseau, chaque franchisé n’est pas tenu de faire savoir aux autres franchisés et à son franchiseur ses prévisions et décisions en matière de gestion. Quant au franchiseur, il doit se garder d’intervenir comme co-employeur vis-à-vis des salariés des franchisés. La jurisprudence requalifie ainsi en contrat de travail une relation de franchise à travers laquelle serait créée une subordination juridique entre le franchiseur et le franchisé.  

Mélange des genres

En outre, ce dispositif ferait des franchiseurs des pseudo co-employeurs des salariés des franchisés, ce qui est contre nature. En effet et pour la Cour de cassation, la qualité de co-employeurs ne doit être appliquée à deux sociétés que lorsqu’il “existe entre (elle) une confusion d’intérêts, d’activités et de direction qui se manifestait par l’immixtion de (l’une) dans la gestion du personnel de (l’autre)” (Cass. soc, 22 juin 2011, pourvoi n° 09-69021). Il n’en est rien en franchise ! Et – pour prendre un exemple récent – la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé un arrêt d’une cour d’appel ayant déclaré un franchiseur co-employeur des salariés des sociétés franchisées, alors même “qu’une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre, hors l’existence d’un lien de subordination, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière” et “que le fait qu’ait été constituée une équipe dirigeante identique et que la société mère ait, d’une part, pris dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de ces filiales, d’autre part, fourni les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de la cessation d’activité des sociétés, ne pouvait suffire à caractériser une situation de co-emploi” (Cass. soc, 9 juin 2015, pourvoi n° 13-26558) Enfin et pour en revenir à des considérations politiques, ne déplore-t-on pas que l’ascenseur social soit en panne en France ? Et la loi travail ne s’est-elle pas fixée notamment pour objectif de lutter contre le chômage ? Or, la franchise constitue un formidable levier de développement, favorisant les reconversions professionnelles et la création d’emplois stables. Ainsi, logique économique et progrès social ne sont en rien antinomiques dans la franchise, bien au contraire. À condition de ne pas provoquer, sous couvert de dialogue, un funeste mélange des genres qui, effaçant la frontière entre franchiseurs et franchisés, saperait les fondements mêmes de ce fleuron français !  

Rémi De Balmann, avocat à la cour d’Appel de Paris, associé-gérant, responsable du département distribution franchise du cabinet D, M & D et coordinateur du collège des experts de la Fédération française de la franchise.

De Balmann, avocat, franchise
Par Rémi de Balmann, avocat associé – gérant au cabinet D, M & D, membre du Collège des experts de la FFF.
 

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