Longtemps associé à la malbouffe, le burger acquiert ses lettres de noblesse et se retrouve à la carte des meilleurs restaurants. Afin de croquer une part du sandwich, les enseignes spécialisées venues des États-Unis débarquent une à une en France. Et les réseaux français s’organisent pour livrer la bataille en maintenant une stratégie de qualité tout en restant cohérents sur les prix.
Aujourd’hui, quel établissement n’a pas au moins un burger proposé à la carte ? Chaîne de restaurants, brasseries traditionnelles indépendantes et même hôtels étoilés accueillent ce plat autrefois mal-aimé est désormais plébiscité par les Français. Selon les chiffres publiés en avril dernier par le Sandwich & Snack show, le rassemblement européen des fournisseurs de la restauration rapide et de la vente à emporter, le marché du sandwich en France a connu une belle croissance en 2014, de l’ordre de 2,3 % par rapport à l’année précédente. Au total, 2,19 milliards de sandwichs ont été consommés dans l’Hexagone pour un chiffre d’affaires de 7,44 millions d’euros. Selon les professionnels du secteur,si le jambon-beurre reste la star, sa suprématie est toutefois relative si l’on prend en compte l’ensemble de la restauration rapide avec de nouveaux segments qui viennent lui grignoter des parts de marché avec, en première ligne, les burgers.
Montée en gamme
“C’est indéniable, le burger se porte mieux que le sandwich, confirme Bernard Boutboul, directeur général de Gira conseil, spécialisé dans le marketing et le développement de la restauration rapide. Nous atteignons des records en termes de ventes en France. Il faut savoir qu’en l’espace de 13 ans, les ventes de sandwichs ont été multipliées par 3 tandis que celles des burgers ont été multipliées par 14.” L’arrivée massive de nouvelles enseignes sur le marché peut expliquer la progression des ventes ces dernières années. Il faut bien avouer que l’actualité du secteur est extrêmement chargée depuis au moins trois ans. Citons pêle-mêle le retour du géant américain Burger King dans l’Hexagone en 2012 ou encore, cette année, l’arrivée d’une déclinaison de l’enseigne Buffalo Grill, Buffalo Burger. Le marché français a été également boosté par le retour en force des fifties et sixties avec des enseignes inspirées des diners américains comme Memphis coffee, Tommy’s diner ou encore plus récemment l’enseigne Emily’s. Pour contrer l’arrivée de ces nouveaux concurrents, les enseignes déjà présentes en France n’hésitent pas à proposer de nouveaux services à l’image du Burger Bar by Quick inauguré début 2014 au centre commercial Qwartz à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Le concept entend proposer une gamme de produits volontairement réduite et centrée sur les classiques de la restauration rapide, les burgers, frites et glaces. Face à cette affluence et ces innovations, le leader historique du marché des burgers, McDonald’s, n’est pas en reste et multiplie les nouvelles technologies afin de booster ses ventes. L’enseigne déploie actuellement des bornes de commande dans les établissements pour un service plus rapide, mais aussi la possibilité de commander ses repas en ligne. La marque américaine se met également au pas des tendances du marché et retente, Outre-Atlantique, le créneau du haut de gamme avec une recette de burger réalisée avec un faux-filet. Baptisé le Sirloin ThirdPound Burger, il est présenté, aux États-Unis sur une planche en bois, préférée au plateau en plastique traditionnel. Un produit qui pourrait séduire la clientèle française traditionnellement sensibilisée aux mets de qualité alliés à des recettes gourmandes.“Aujourd’hui, le marché des burgers en France ne se résume plus à Quick et McDonald’s, fait valoir Bernard Boutboul. Les trois quarts des restaurants en service assis en France proposent un hamburger à la carte et les trois quarts nous disent que le burger est même devenu le plat leader.” Pour expliquer cet engouement soudain, le spécialiste estime ne pas pouvoir avancer d’arguments précis. “On ne comprend pas ce qui s’est passé, déclare-t-il. Les grandes enseignes américaines sont appréciées des Français qui raffolent des produits à base de pain, mais quand les restaurateurs ont imaginé la possibilité de les servir à table, les clients se sont précipités dessus.” Désormais, sur le marché français, le burger se veut premium à l’image de l’enseigne pionnière Big Fernand qui se présente com me “l’atelier du hamburger” et dispose de 10 restaurants en France. Dans le même temps, les prix augmentent, mais cela ne semble pas freiner la consommation. D’une manière générale, dans une enseigne de restauration rapide, le burger peut être affiché à 4 ou 5 euros. Il peut parfois être vendu 20, 25 et même 27 euros en service à table dans de grands hôtels. “À 27 euros, il faut vraiment que le burger soit d’une grande qualité avec un pain réalisé par un boulanger extraordinaire, une viande racée, du cheddar qui vienne d’Angleterre etc., précise Bernard Boutboul. Mais cela semble efficace pour convaincre les consommateurs.” Dans le même temps, les réseaux de commerce organisé s’adaptent. “Certaines enseignes qui n’ont jamais voulu venir en France comme Five Guys, Steak’N Shake ou encore Shake Shack se tournent désormais vers nous, constate Bernard Boutboul. Ces enseignes répondent aujourd’hui parfaitement aux attentes des clients français. Elles proposent des burgers fabriqués devant eux avec des produits de grande qualité.” Car selon le spécialiste, cette montée en gamme et l’engouement des Français pour le burger n’est pas près de s’arrêter. “Au niveau de leur consommation dans la restauration, les Français sont dans le plaisir, ajoute Bernard Boutboul. Ils veulent du goût et sont prêts à le payer.”
La livraison pour se démarquer
Afin de répondre aux attentes de cette clientèle exigeante, Cédric Moulot, fondateur de l’enseigne 231 East Street qui devrait avoir25 points de vente à la fin de l’année, n’a qu’un seul mot d’ordre. “Je ne veux plus du tout travailler avec des industriels”, explique-t-il, sans détour. Pour y parvenir, l’enseigne propose une carte resserrée avec un choix entre quatre burgers et des produits apportés par certains Meilleurs ouvriers de France (MOF). “Ce qui est aussi une garantie de fraîcheur, remarque-t-il. Travailler avec des artisans, c’est comme ça que nous réussirons à faire la différence.” Le burger premium semble désormais être la norme sur le marché. “Il y a quelques années, on était considérés comme des voyous parce qu’on faisait de très gros burgers, illustration de la malbouffe, dénonce Bruno Bourrigault, fondateur de Speed Burger. Aujourd’hui, le burger a un tout autre statut. C’est un produit anti-crise, ça reste moins cher qu’une entrecôte et les recettes sont très appréciées par le marché français.” Pour se démarquer, l’enseigne peut compter sur son concept originel qui proposait un service de livraison dès sa création. Aujourd’hui, le burger livré représente 90 % de son chiffre d’affaires. Le réseau rassemble 48 magasins exploités en franchise, partout en France. “Quand nous nous sommes lancés, le principe de livraison des pizzas arrivait en province et nous avons donc eu l’idée d’appliquer le dispositif au burger, relate-t-il. Il était inutile d’aller sur le marché des burgers assis et de lutter contre des mastodontes comme McDonald’s ou Quick. Nous n’avions pas les moyens de nous battre. Aujourd’hui, certaines enseignes, comme Mythic Burger arrivent sur le secteur de la livraison, mais à l’heure où le marché s’encombre, cela nous permet encore de nous démarquer.”
Et s’il n’en reste qu’un seul…
Car au fur et à mesure que de nouveaux acteurs arrivent sur le secteur, les parts de marché qui restent à prendre se réduisent, et dans les années à venir, la bataille s’annonce rude. “Je pense que les choses vont se poser d’ici 2 ans, analyse Cédric Moulot pour 231 East Street. Pour continuer à exister au cours des prochaines années, il me semble important de continuer à gagner en qualité. Il y aura des disparitions, et je pense que les choses peuvent évoluer très rapidement”. Il conseille également,sur le long terme, de développer des recettes simples mais efficaces. Dans cette bataille, la solidité d’un réseau peut alors jouer un rôle primordial. “À condition d’y aller doucement avec les changements de produits et de concepts.” Selon Hakim Benotmane, responsable de la franchise au sein du groupe Nabab Kebabqui lance, cette année, deux concepts de burgers New York Factory et Nash Burger, la compétition se jouera incontestablement sur le front des prix. “Nous atteignons les 950 millions de burgers vendus chaque année en France, ce qui en fait un produit sûr, affirme-t-il. Pour autant, il est important de ne pas être trop cher car le burger doit rester un produit accessible et convivial.” Ainsi, l’enseigne Nash Burger, qui a la particularité de proposer de la viande Halal, promet un panier moyen à 9 euros “ce qui correspond à un budget raisonnable à Paris, mais aussi en Province”, commente Hakim Benotmane. De son côté, New York Factory table sur un panier moyen à 11 euros. D’autant, que selon les enseignes interrogées, le burger est un produit sur lequel il est possible de réaliser de très belles marges. “Sur un burger de qualité, on peut marger à 80 %, illustre Hakim Benotmane. Le prix de revient atteint 1 euro et on peut le vendre 6 euros.” Quant à la question de savoir si la frénésie du burger va durer, le verdict est sans appel.“Les enseignes de pâtes vont couler, celles de sushis vont très mal, le wok n’a pas duré, mais l’engouement du burger ne va jamais mourir, assure-t-il. Les enseignes qui vont tirer leur épingle du jeu sont celles qui vont continuer à faire du burger maison.” Exit donc, l’argument de l’effet de mode. Le burger semble bien au-dessus de tout cela.