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Franchise : prévisionnels et loyauté

Tribune – Le plan de développement réalisé en collaboration étroite avec le franchiseur doit être loyal. L’ouverture de nouveaux magasins est nécessairement associée à la réussite des exploitations. Par Serge Meresse, avocat au barreau de Paris, cabinet Thréard, Bourgeon, Meresse & associés.

Le franchiseur a le pouvoir de vérifier les conditions d’implantation à cette fin et de refuser un projet s’il ne répond pas à cet objectif. Sans obliger le franchiseur à renégocier le protocole, la cour d’appel a pu retenir que la loyauté imposait de négocier si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable, et de proposer des conditions acceptables. Le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par les pertes subies. Un franchisé signe un protocole cadre avec la franchise Paul pour ouvrir plusieurs boulangeries dans le sud de la France. Il crée 3 sociétés et ouvre 7 boulangeries qui rencontreront rapidement de graves difficultés. Le franchiseur résiliait le protocole cadre pour non-respect du plan de développement. Les franchisés finissent en liquidation judiciaire après rupture de leurs contrats par le franchiseur. Dans son arrêt du 7 janvier 2015, la cour d’appel de Paris retenait que le franchiseur avait assisté le franchisé dans l’élaboration de ses comptes prévisionnels, que les études d’implantation n’avaient pas été faites sérieusement par le franchiseur qui s’était réservé la possibilité d’apprécier la faisabilité du projet, qu’il avait manifestement surévalué la force de son concept et de son enseigne et que les chiffres communiqués au franchisé n’étaient pas adaptés au contexte local et manquaient de sérieux. La cour reprochait aussi au franchiseur d’avoir sous-évalué les investissements et dépenses spécifiques. La cour rappelait que “le contrat de franchise a pour objet la réitération de la réussite commerciale du franchiseur par le franchisé” et “qu’il appartenait au franchiseur d’assister le franchisé pour lui permettre de sortir des difficultés qu’il a lui-même provoquées…en obtenant la révision du contrat d’approvisionnement” géré par une filiale du franchiseur.  

Sanctions

La cour d’appel condamnait le franchiseur à verser 75 000 euros aux franchisés personnes physiques au titre de leur préjudice moral, 150 000 euros au titre de la perte de chance de gains à la holding du franchisé, 143 220 euros de frais d’emprunts contractés pour combler les surcoûts d’investissements et 174 045 euros de frais de la procédure collective “la faute contractuelle de la société Holder étant à l’origine directe des difficultés financières de la société Gilon et de son placement sous sauvegarde” à l’une des société franchisée et 1 million d’euros à titre de dommages et intérêts au titre des “conséquences des manquements à ses obligations de conseil et d’information qui ont concouru directement au préjudice constitué par les pertes subies par la société Gimaud soit la somme de 451 958 euros ; qu’étant directement à l’origine de la procédure collective de la société Gimaud, (le franchiseur) doit être condamné à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 1 million d’euros correspondant au montant des dettes qu’elle a auprès des créanciers qui se sont engagés avec elle et la somme de 81 624 euros pour les frais de procédure collective de sauvegarde et de liquidation judiciaire” à l’autre société franchisée.  

Obligation d’informer

Dans son arrêt du 15 mars 2017, la cour de cassation rejette le pourvoi du franchiseur en retenant “qu’après avoir relevé que le plan de développement convenu ne pouvait être réalisé qu’avec la collaboration étroite et loyale des parties et que l’ouverture de nouveaux magasins sous franchise restait nécessairement associée à la réussite des exploitations, la société Holder, franchiseur, ayant le pouvoir de vérifier les conditions d’implantation à cette fin et de refuser un projet s’il ne répondait pas à cet objectif, la cour d’appel, sans obliger la société Holder à renégocier le protocole, a pu retenir que la loyauté imposait de négocier, si le protocole d’accord s’avérait difficilement réalisable, et de proposer des conditions acceptables”. La cour de cassation rejette également les moyens soutenus par le franchiseur qui ne sont “manifestement pas de nature à entraîner la cassation”, au nombre desquels étaient la contestation de la rupture des contrats au tort du franchiseur, la validation des prévisionnels par le franchiseur qui les a reçus sans réserve, l’obligation pour le franchiseur de procéder à une étude sérieuse du contexte local d’implantation, l’expérience professionnelle antérieur du franchisé dans d’autres métiers qui n’exonère pas le franchiseur de son obligation d’information. Mais sur le préjudice la cour sanctionne l’arrêt d’appel au visa de l’article 1382 (1240) du Code civil en affirmant “que le préjudice résultant du manquement à une obligation précontractuelle d’information est constitué par la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses, et non par les pertes subies”. Cette formule s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence rendue en matière de caution bancaire ou de responsabilité médicale (Cass 20 octobre 2009 n° 08-20274) avant qu’elle ne soit reprise en matière d’information précontractuelle due au titre des articles L 330-3 et R 330-1 du code de commerce. (Cass 31 janvier 2012 n° 11-10834) Pour autant, fait-elle sens en la matière car quel est le contenu concret du préjudice constitué par la “perte de chance de ne pas contracter” d’un franchisé qui a déposé son bilan à cause des fautes établies de son franchiseur ? La cour n’en dit rien.  

Emplacements inappropriés

L’arrêt d’appel avait retenu “que s’appuyant sur des comptes validés par le franchiseur, la société Gilon peut faire état du préjudice résultant des frais d’emprunts complémentaires qu’elle a dû supporter, faute d’avoir été informée sur le montant exact des investissements qu’elle devait engager ; que la faute contractuelle de la société Holder étant à l’origine directe des difficultés financières de la société Gilon et de son placement sous sauvegarde, la société Gilon peut demander à être dédommagée des frais engagés dans cette procédure collective”. Et pour Gimaud, elle avait justifié la condamnation parce que “la société Holder doit supporter les conséquences des manquements à ses obligations de conseil et d’information qui ont concouru directement au préjudice constitué par les pertes subies par la société Gimaud soit la somme de 451 958 euros ; qu’étant directement à l’origine de la procédure collective de la société Gimaud, elle doit être condamnée à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme d’1 million d’euros correspondant au montant des dettes qu’elle a auprès des créanciers qui se sont engagés avec elle et la somme de 81 624 euros pour les frais de procédure collective de sauvegarde et de liquidation judiciaire.” Ces motivations étaient cohérentes car les contrats n’auraient pas été signés et les franchisés n’auraient pas fini en liquidation judiciaire si le franchiseur n’avait pas validé les emplacements inappropriés ni les comptes prévisionnels dont il a surévalué la rentabilité. Les franchisés avaient 100 % de chance de ne pas investir dans les magasins concernés et de ne pas signer les contrats si le franchiseur avait fait son travail convenablement, parce qu’il a seul le pouvoir d’attribuer ou de refuser sa franchise. L’on remarquera aussi que l’arrêt est rendu sur le fondement de la responsabilité délictuelle pour appliquer sa formule alors que la cour d’appel retenait la responsabilité contractuelle du franchiseur.  

De multiples préjudices

Cela étant quel est le contenu du préjudice constitué par la perte de chance de ne pas signer un contrat de franchise ou de contracter à des conditions plus avantageuses ? La chance de ne pas contracter, c’est la chance de ne pas signer le contrat de franchise, c’est la chance de ne pas emprunter pour financer l’investissement, c’est la chance de ne pas être caution, c’est la chance de ne pas avoir engagé ses économies en pure perte et c’est la chance de ne pas voir sa société en liquidation judiciaire, et cette chance perdue est quantifiée par les soldes d’emprunts bancaires, par les cautions données, par les apports perdus des associés, par les pertes faites et par le passif produit à la liquidation judiciaire de la société franchisée. Cette chance perdue est certaine à 100 % car si le franchiseur avait fait son travail convenablement, il aurait refusé de signer le contrat et il n’y aurait pas eu cet enchaînement de préjudices. Il est dommage qu’à l’occasion de cette affaire mettant en jeu des intérêts économiques importants et sanctionnant des pratiques fréquentes en matière de franchise, la cour de cassation ait usé d’une formule type qui paraît peu appropriée à la matière, sans en préciser le sens et le contenu, et sans se préoccuper de la portée concrète de son affirmation dont on pourrait douter qu’elle le sache elle-même.

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