Même en ayant choisi d’adhérer à une franchise, il peut être difficile de trouver des investisseurs et de convaincre les banques de financer son entreprise. Il peut alors être utile de négocier avec sa tête de réseau une « franchise participative » – une prise de participation du franchiseur, profitable aux deux parties. Alors que Carrefour est actuellement en procès avec l’un de ses franchisés, décryptons ce système… utile, mais sous certaines conditions.
Vous avez décidé de créer une entreprise, vous avez choisi d’adhérer à un réseau de franchise pour assurer votre business model… Mais vous peinez à convaincre les banques et les investisseurs de vous financer. Si vous faites face à une impasse, il existe une solution encore méconnue, mais très utile : la franchise participative.
Concrètement, le franchiseur prend, directement ou par le biais d’une de ses filiales, une participation dans le capital social de la société commerciale de son franchisé – devenant également l’associé de ce dernier. Toutefois, le franchisé demeure un entrepreneur et un commerçant indépendant : la participation de la tête de réseau est ainsi minoritaire, afin d’éviter que l’entreprise devienne en réalité une filiale ou une succursale du groupe.
Ce système peut être profitable aux deux parties. « Pour le franchiseur, il s’agit d’une occasion de développer rapidement son réseau, mais aussi de le pérenniser en permettant à un candidat à la franchise, qu’il estime intéressant mais qui manque d’apport personnel, ou qui n’a pas une capacité d’emprunt assez élevée, d’obtenir un financement. Pour le franchisé, c’est une solution pour pallier une insuffisance de fonds propres pour son projet », explique Sandrine Richard, avocate chez Simon Associés. « Mais pour que la franchise participative fonctionne, elle doit respecter deux conditions : l’indépendance du franchisé doit être garantie et respectée, et le franchiseur, en tant qu’associé minoritaire, doit respecter aussi l’intérêt social de la société franchisée, qui peut être différent du sien », ajoute la spécialiste.
Une participation minoritaire qui peut tout bloquer ?
Si toutes les conditions ne sont pas remplies, la franchise participative peut poser problème, comme c’est le cas actuellement avec Carrefour. Dans le cadre d’un contentieux opposant un franchisé lyonnais de l’enseigne Carrefour City (Stéphane Robert et la société Lacadis) à sa tête de réseau (Carrefour Proximité), le Tribunal de commerce de Lyon (soutenu par le Ministère de l’Economie et des Finances) a demandé le 4 juillet dernier à l’Autorité de la Concurrence (ADLC) d’examiner plusieurs pratiques pouvant être anticoncurrentielles. « Ce qui est reproché au groupe, c’est d’avoir introduit dans les statuts de la société franchisée des clauses qui empêchent en réalité de sortir du réseau et de changer d’enseigne », explique Olga Zakharova-Renaud, avocate chez BMGB et Associés, qui défend le franchisé dans le cadre de cette affaire.
Qu’est-ce qui cloche, exactement ? Concrètement, à travers sa filiale Selima, Carrefour Proximité a pris 26 % du capital social de Lacadis, et a rédigé elle-même les statuts de la société de son franchisé. « C’était à prendre ou à laisser. C’est donc l’associé minoritaire qui a déterminé l’objet social de la société de la manière suivante : l’exploitation d’un supermarché alimentaire, sous l’enseigne Carrefour, à l’exclusion de toute autre. Autrement dit, l’objet social de l’entreprise franchisée limite son objet social à l’exploitation exclusive de l’enseigne Carrefour », indique Olga Zakharova-Renaud.
Lorsque le contrat de franchise arrive à son terme de 7 ans, il est du reste impossible de changer d’enseigne sans l’autorisation préalable de l’associé minoritaire. « La loi dit que toute modification statutaire doit être adoptée par l’assemblée générale extraordinaire des associés, à la majorité des 3/4, donc 75 %. Or, le franchisé ne détient que 74 %, car 26 % appartiennent à Carrefour. Ce qui l’empêche de sortir du réseau de franchise de lui-même. Il est donc obligé de renouveler perpétuellement son contrat de franchise, car s’il ne le renouvelle pas, soit sa décision est invalidée, soit sa société s’expose à la dissolution du fait de l’impossibilité de remplir son objet social. Et Carrefour, dans ces contentieux là, demande systématiquement la dissolution de la société », note l’avocate.
« Alors même que la société franchisée a dans l’absolu la liberté de renouveler son contrat de franchise à son terme – une décision libre et sans besoin d’être justifiée -, en réalité, cette liberté est bloquée, car dénoncer le contrat de franchise entraînerait l’impossibilité d’exploiter l’enseigne Carrefour, qui constitue l’objet social de la société. La liberté du franchisé de sortir et d’aller ailleurs est donc restreinte – ce qui est contraire au droit de la concurrence, et qui viole le principe fondamental en droit français de l’interdiction des engagements perpétuels », ajoute-t-elle.
Le montage contractuel de la franchise chez Carrefour France (proximité, supermarchés et hypermarchés) dans son ensemble, qui est le même à chaque fois, pourrait être entièrement remis en cause par un avis défavorable de l’Autorité de la Concurrence, qui pourrait faire jurisprudence. Mais cet avis ne devrait toutefois pas être rendu avant un an minimum. Un autre litige, très fortement similaire, est déjà en attente d’une réponse de l’ADLC… depuis l’été 2018. Jugé par la Cour d’appel de Paris, il oppose un commerçant indépendant à Intermarché, et porte sur une durée abusive du contrat de franchise (15 ans), ainsi que sur différentes exclusivités.
Mais attention à ne pas faire de raccourcis trop hâtifs : la franchise participative n’a pas, à l’origine, pour but de tout bloquer. « Le cas Carrefour, c’est une possibilité, un risque, mais il faut retenir que ce n’est pas systématique. Toutes les enseignes qui mettent en place un processus de franchise participative ne prévoient pas un objet statutaire bloquant », prévient ainsi Sandrine Richard.
Attention aux statuts
À quoi doivent dès lors faire attention les candidats potentiels à la franchise participative ? « Pour que ce système ait des vertus, il ne faut pas qu’il ait pour objet ou effet d’empêcher la personne physique dirigeante de la société franchisée, de pouvoir sortir du réseau à l’issue du contrat de franchise d’origine. D’où la nécessité, dès le début, de bien cibler l’objectif de la participation de la tête de réseau, de faire attention à la rédaction des statuts, ainsi qu’aux points sur lesquels une minorité de blocage pourrait être exercée par l’associé minoritaire », indique la juriste.
Olga Zakharova-Renaud conseille de son côté d’avoir recours à un pacte d’associés avec le franchiseur, c’est-à-dire une convention établie parallèlement aux statuts de la société, portant sur le rachat des parts réciproques. « Elle devrait stipuler que le franchiseur, associé minoritaire, s’engage à vendre sa participation minoritaire (ses parts) à un prix déterminé, avec une méthode de calcul déterminée, à la fin du contrat de franchise », explique-t-elle.
Attention, donc, à prévoir les conditions de sortie de chacun. Quitte à faire appel à un juriste, avant de signer tout contrat. « Malgré l’excitation et l’empressement de commencer à exploiter son magasin, même si dans l’immédiat tout se passe bien, mieux vaut anticiper en amont tout problème potentiel », estime Olga Zakharova-Renaud.
Un système qui peut être vertueux
La franchise participative reste malgré tout une approche intéressante, qui s’avère le plus souvent vertueuse, selon Sandrine Richard. « Si la tête de réseau ou la société de son groupe qui devient associé minoritaire, vient au capital pour effectuer un apport en compte courant ; et s’il est prévu dès le départ que si la société commerciale du franchisé quitte le réseau, le franchiseur doit sortir du capital – ce système peut mettre le pied à l’étrier à des personnes qui, seules, n’auraient pas pu réaliser leur projet entrepreneurial, et donner des résultats positifs », conclut l’avocate.