L’enseigne de prêt-à-porter féminin n’aura finalement pas reçu le soutien financier de la Financière Immobilière Bordelaise, son actionnaire. Un premier revers pour Michel Ohayon, président de la holding, après les rachats successifs de Gap France et Go Sport.
Camaïeu vient d’être placée en liquidation judiciaire.
Le tribunal de commerce de Lille a tranché. Alors que la direction avait demandé la poursuite de la période d’observation jusqu’à janvier 2023, le Procureur de la République a estimé, selon la CFDT,
“que dans la mesure où Camaïeu, avait dès l’ouverture de la procédure de redressement, continué à créer de la dette, sa reprise ou son redressement paraissait compromis dès cette date.” Ce sont ainsi près de
515 magasins pour 2 500 salariés concernés par cette décision de justice. L’affaire était dès le départ mal embarquée. La direction annonçant qu’elle ne pouvait pas financer la suite de la période d’observation (90 millions d’euros). La CFDT précisait d’ailleurs que cette dernière n’était en mesure d’avoir un apport financier de seulement 14 millions d’euros. Certes, des contacts ont été pris auprès des pouvoirs publics pour obtenir, sous forme d’avance,
un financement complémentaire de 48 millions d’euros. Sans succès. L’actionnaire, selon la CFDT, ayant choisi également de ne pas remettre au pot. Ce dernier estimant que
“le plan de continuation n’était de toute façon pas viable.” Pour rappel, la société Hermione, branche retail de la holding Financière Immobilière Bordelaise (propriété de l’homme d’affaires Michel Ohayon), s’était emparée de la marque Camaïeu en août 2020.
A noter que les administrateurs judiciaires ont sollicité
la poursuite de l’activité jusqu’à samedi soir 1er octobre afin de permettre pour l’essentiel de financer les mesures d’accompagnement du plan de sauvegarde de l’emploi.
Le montant du PSE a été évalué à 41,2 millions d’euros. Un sentiment de gâchis d’autant plus que l’enseigne venait très récemment de remporter le grand prix stratégie de la publicité 2022 via son agence Buzzman. Il semblerait que le mouvement des Gilets Jaunes, les grèves pour les retraites et bien évidemment la crise sanitaire aient été fatales à l’enseigne. C’est une grande déception pour Bouchra Roekens, déléguée CFDT et membre du CSE : “
Je suis chez Camaïeu depuis 18 ans. L’enseigne avait été reprise il y a deux ans. Moi, comme d’autres, on y croyait. À cette période, nous avions le sentiment d’être vraiment repartis. D’autant que la marque a une forte notoriété, qu’elle est historique et qu’elle parlait et savait parler aux françaises. Mais nous nous sommes rendu compte, au bout d’un an et demi, qu’il commençait à y avoir des signaux d’alarme. Les magasins ne recevaient pas la collection du moment au moment opportun. Il y avait des retards de collections. Ou bien nous recevions des collections qui ne ciblaient pas notre clientèle.” Et cette derniere d’ajouter :
“Nous avons été surpris d’apprendre le redressement de Camaïeu à la fin du mois de juillet 2022. Les administrateurs judiciaires nous ont alors expliqué la teneur financière de l’entreprise. Là, on nous a révélé l’ampleur des dettes qui s’élevaient à 250 millions d’euros.”
Un milieu de gamme en souffrance
Un premier échec donc pour la Financière Immobilière Bordelaise qui en quelques années avait annoncé, outre le rachat de Camaïeu,
la reprise de l’enseigne Go Sport ou encore de Gap France. Mais la reprise de l’enseigne aujourd’hui placée en liquidation judiciaire est synonyme surtout d’un secteur qui peine à se réinventer.
“Il y a clairement aujourd’hui trop d’offres par rapport à la demande. Rendez-vous qu’en compte qu’en 40 ans, le marché immobilier a augmenté de 5 % par an. C’est un des premiers postes de dépense des Français dont le budget n’est pas extensible. Ce naufrage de Camaïeu illustre surtout le fait que la part de gâteau dans l’habillement se réduit face à une concurrence de plus en plus féroce”, estime
Jérémie Herscovic. Et
le fondateur de SoCloz et expert du marché retail d’ajouter :
“Entre l’entrée de gamme dont la qualité s’est améliorée et une certaine offre dans le luxe désormais accessible, le milieu de gamme, ‘stuck in the middle’, souffre inévitablement. Typiquement Camaïeu. Mais ce n’est pas nouveau. Voilà plus de dix ans que l’enseigne est à la peine.” Dernier exemple en date d’un secteur fortement affaibli : le cas de l’enseigne de chaussures San Marina placée en redressement judiciaire le 20 septembre 2022.
Article réalisé en collaboration avec Valentine Puaux.