Alors que la prochaine élection à la magistrature suprême approche à grands pas, nous avons demandé à plusieurs dirigeants emblématiques leurs attentes et espoirs. Ils se confient également sur les évolutions qu’ils jugent nécessaires pour rendre leurs secteurs respectifs plus dynamiques.
En février dernier, la fédération Procos et L’Alliance du Commerce avaient dévoilé 22 propositions concrètes pour transformer le commerce. Et surtout remettre cette activité au cœur de la présidentielle. Car, il faut dire, que depuis les Assises du Commerce, en décembre 2021, plus rien. “Nous voulons que les candidats à la présidentielle considèrent le commerce comme un acteur économique central pour la transformation de la société”, explique Emmanuel Le Roch, directeur général de Procos. Et Yohan Petiot, directeur général de L’Alliance du Commerce d’ajouter : “Il ne faut pas oublier que le commerce, c’est 3,2 millions de salariés, soit le premier employeur devant le secteur industriel.” Parmi les enjeux de taille mis en avant par ces deux fédérations professionnelles, l’épineuse question du coût des loyers et la hausse de l’ILC [indice des loyers commerciaux].“
Il faut maîtriser l’évolution des loyers commerciaux pour les années à venir. L’ILC a beaucoup augmenté et risque encore d’afficher une forte hausse en mars prochain. Il est aussi urgent de passer sur de la facturation mensuelle des loyers et non trimestrielle pour favoriser la trésorerie des commerçants”, affirme Yohan Petiot.
Un constat partagé par Véronique Discours-Buhot, déléguée générale de la Fédération Française de la Franchise (FFF) qui milite également pour que la question de l’ILC soit désormais remise à plat. Parmi les propositions jugées prioritaires par Procos et L’Alliance du Commerce, figure également l’adaptation des horaires d’ouverture des commerces. “On se rend compte que les commerces ne sont ouverts que sur seulement 30 % du temps libre des consommateurs, annonce Yohan Petiot. Si l’on veut que les clients retournent dans les magasins physiques, il faut s’adapter à ces modes de vie.”
Philippe Gueydon, Directeur général de King Jouet et co-président de la FCJPE
“Nous avons plusieurs attentes avant la fin de ce quinquennat. Nous souhaitons que le gouvernement actuel prenne une décision concernant la modification de l’ILC [Indice des loyers commerciaux]. On sait que l’inflation redonne un coup de chaud impossible à supporter par nos enseignes en termes d’augmentation des loyers. Le gouvernement a pris le sujet en mains et un décret devrait bientôt sortir pour modifier le mode de calcul de cet indice. Nous attendons aussi, avec la présidence de la France à l’Union Européenne, qu’une enquête soit menée par l’Autorité européenne de la concurrence concernant le fret maritime. Il y a eu une explosion des coûts en 2021 qui n’est, en bonne partie, pas justifiée. Cela pèse sur nos comptes de résultats, (car nous absorbons une partie de ces hausses), mais aussi sur le porte-monnaie des clients. À plus long terme, nous attendons, de la part des candidats à la présidentielle, que la fiscalité soit revue dans sa globalité pour une meilleure égalité entre les acteurs physiques et digitaux. On demande vraiment une réforme profonde. J’attends des candidats qu’ils prennent véritablement en compte le commerce au bon niveau. Entre peu et rien, il y a une vraie nuance à avoir. Quand on regarde les programmes à date, aucun des candidats déclarés ne fait mention du commerce. Alors que la place du commerce dans le quotidien des Français est, et restera, majeure. Cela justifie que les candidats aient un point d’attention et des idées structurantes sur cette activité. Il faut cependant souligner l’action du gouvernement actuel qui a mis en place les Assises du Commerce. Elles sont arrivées tardivement dans le mandat mais elles ont eu lieu et c’est un point de départ. II ne faut toutefois pas que l’action politique se limite à ces Assises. Il n’y a pas de raison que le commerce soit le parent pauvre de l’économie, face à d’autres secteurs comme l’industrie. Je reste convaincu qu’avoir un commerce fort servira toujours l’industrie locale.”
Frédéric Froger, Directeur des marques Okaïdi et Obaïbi (groupe IDKids)
Sans faire trop de politique, on constate que le commerce n’est pas une question centrale pour les candidats à la présidentielle. On est dans les petites phrases et les petites actions. Durant ces quatre ou cinq dernières années, le commerce a été très erratique. Entre la crise sociale, les Gilets Jaunes, la Covid-19 et l’inflation aujourd’hui, le métier de commerçant n’a pas été très stable et la visibilité n’est pas très bonne. Ce qui nous importe donc dans les prochains mois et pour le prochain quinquennat, c’est avant tout de retrouver cette visibilité. On voit aussi que les habitudes de consommation évoluent très vite et les normes également. Nous avons donc vraiment besoin d’y voir plus clair pour se préparer à tous ces changements et ainsi mieux poser nos investissements. Outre la visibilité, il y a un travail également à faire sur la formation des collaborateurs. Une grosse partie de nos équipes a besoin de se former, notamment face à la transformation digitale du commerce. Il faut aussi qu’on soit en mesure de redonner des responsabilités aux collaborateurs, les jeunes générations ont envie d’entreprendre donc il faut leur proposer des postes qui vont dans ce sens. Globalement, un gros travail sur l’attrait du secteur est à faire. Le commerce n’attire pas. Le travail le samedi est un vrai problème pour capter les collaborateurs. Ce sont des métiers prenants et compliqués, en particulier pour les mères de famille.”
“Mes attentes sont relativement simples. Je souhaite simplement que l’ensemble des acteurs du secteur soient logés à la même enseigne. Les associations, les entreprises privées ou encore les particuliers employeurs. Notamment sur la formation des collaborateurs particulièrement exigeante chez nous, dans le secteur privé. Ce n’est pas le cas pour le particulier employeur. Vous savez aujourd’hui, je vous donne cela à titre d’exemple, qu’un particulier employeur peut recruter une aide à domicile qui n’a aucun diplôme ou autre formation et qui peut avoir le passif de Guy Georges ou de Marc Dutroux. Il y a une totale distorsion en matière de concurrence. On le voit avec les scandales récents sur les différents Ehpad Korian ou Orpea, l’État ne joue pas son rôle de régulateur régalien. Il y a pourtant des règles. Il faut juste que ce dernier s’assure qu’elles soient bien respectées. Ici, dans cet exemple précis, l’État a été clairement déficient. Je pense, en revanche, qu’avec la crise de la Covid, l’éxecutif s’est rendu compte que le maintien à domicile devait être une priorité. Cela vaut pour les personnes âgées aussi bien que pour les enfants. Une personne malade de la Covid en Ehpad a beaucoup plus de chances de contaminer l’ensemble de l’établissement. Cela vaut aussi pour les crèches. Les gens veulent pouvoir continuer à vieillir chez eux. Cette tendance peut profiter au secteur du service à domicile. Mais comprenez-moi, je ne veux pas couper l’herbe sous le pied à la concurrence. Bien au contraire ! Mais je suis pour une concurrence saine et positive. C’est le rôle de l’État de la garantir ! Car au final, le grand gagnant sera incontestablement le client.”
Yves Hecker, Fondateur de l’enseigne Les Burgers de Papa
“Plusieurs choses me viennent à l’esprit immédiatement. Je pense que l’on devrait poursuivre les aides à l’embauche sur l’alternance. Cela nous a permis, au sein de l’enseigne, de densifier notre staff au siège. Il y a évidemment l’allègement sur les cotisations sociales sur les franges les plus hautes des salaires des collaborateurs. Mais au-delà de ça, j’aimerais que nous puissions revenir aux heures supplémentaires défiscalisées. Notamment dans le secteur de la restauration. Le fameux travailler plus pour gagner plus, cher à un ancien président. Avec la crise, nous avons perdu quelques 100 000 bras. Cette mesure pourrait fidéliser et inciter les personnes à rejoindre le marché de la restauration. Nous faisons face à un taux d’absentéisme record. Chez nous, autour de 20 %. D’où la nécessité de défiscaliser les heures supplémentaires pour récompenser les salariés les plus méritants qui se sont investis à fond durant cette période. Même, si de notre côté, nous avons pu mettre en place un ensemble de primes discrétionnaires. Globalement, je trouve que cette campagne présidentielle est totalement inaudible. Outre l’éternelle rengaine de l’insécurité, ce sont surtout des petites phrases ou des clashs qui émergent pour faire le buzz médiatique. Maintenant, Il y a la crise en Ukraine. Les candidats devraient s’approprier les sujets de fond. Comme la réforme des retraites ou l’allongement de la durée du travail. Globalement, pendant la crise sanitaire, le gouvernement a fait le job. La restauration a véritablement été mise sous perfusion. Nous serions bien mal placés pour nous plaindre. Rendez-vous compte qu’en 2021, notre chiffre d’affaires a progressé par rapport à 2020, 2019 et 2018. J’ai eu même des scrupules à bénéficier de toutes les aides mises en place par l’État. Mais nous avons eu la chance d’être aidés par des syndicats forts qui savent se faire entendre.”
“Nos fermetures durant la pandémie ont été injustes. Pourtant, nous avons œuvré auprès des ministères pour les convaincre de laisser les gens s’entraîner. La pratique du sport permet de développer bien moins de formes graves de la maladie. J’ai donc le sentiment qu’on a dégradé la santé des Français en fermant les clubs de fitness. Auprès des politiques, nous nous sommes rendu compte que notre activité était encore trop méconnue. Avec l’Union sport & cycle [organisation professionnelle du secteur sportif], nous avons beaucoup travaillé pour la faire exister dans le débat public. Pourtant c’est l’activité, le fitness, la plus répandue en France avec sept millions de pratiquants. Il faut bien avoir en tête que cette dernière est le tronc commun à tous les sports. Tous les sportifs de haut niveau s’en servent dans leur entraînement. Nous aurions dû être reconnus comme commerce essentiel. Ce fut le cas en Espagne. Le Pass’Sport mis en place pour les jeunes de 6 à 18 ans est une très bonne chose. Mais il faudrait l’étendre à l’ensemble de la population. De même, notre activité est soumise à une TVA de 20 % alors qu’elle est à 10 % en Belgique. Cela devrait être lissé au niveau européen. Nous manquons cruellement de salles de sport en France. C’est un fait ! Nous sommes en retard. Nous avons beaucoup échangé avec les députés pour également les sensibiliser à ces sujets. Il faut aussi éduquer les jeunes à l’école. Les métiers dans le fitness existent et le marché est résolument porteur. Il y a du boulot pour ceux qui souhaitent se lancer dans ces carrières.”
Pierrick De Ronne, Président de la coopérative Biocoop
“En tant que commerçant militant, j’aimerais que l’on parle un peu d’alimentation. Que l’on parle concret. Pour l’instant, cette question de fond, c’est un non-sujet. C’est simplement aujourd’hui une campagne d’oppositions et de postures. Regardez, lors de la sortie du dernier rapport du Giec ! Même si nous sommes, je l’espère, sorti du déni sur le réchauffement climatique, il a quasiment été passé sous silence. À peine une minute trente au journal de France 2. Même si je vous l’accorde, la crise ukrainienne est actuellement dans toutes les têtes. Mais c’est un sujet central et l’écologie est une vraie préoccupation pour 80 % de nos concitoyens. Personne ne veut vivre dans un monde pollué. C’est une grande source d’inquiétude pour les Français. Je pense qu’il y a donc une histoire politique positive à raconter. Du côté de chez Biocoop, nous cherchons à sensibiliser le consommateur. Ce dernier peut également voter avec sa carte bleue même s’il ne faut pas tout réduire à cela. Il y a tellement d’enjeux planétaires. Nous avons sorti récemment une campagne sur les réseaux sociaux pour interpeller les candidats à la présidentielle. En particulier sur le problème des pesticides. Nous souhaitons qu’il y ait, comme pour le carbone, un marché des pesticides. Pour que les pollueurs soient enfin les payeurs. Sur cette thématique des pesticides, les Français se sentent véritablement concernés. Contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne où les enjeux sont plus sociétaux et environnementaux, en France, la santé est une préoccupation majeure chez nos concitoyens ! Les candidats doivent donc s’exprimer sur ce sujet. Il y a encore beaucoup trop de greenwashing de la part de certains acteurs qui siphonnent les labels pour faire de l’argent sur la confiance des citoyens. Mais avec le repli du secteur de la bio, les acteurs de la distribution conventionnelle vont se désengager. Je vous le garantis !”
Article réalisé avec Camille Boulate.