Au cours des derniers mois, la Fnac et Conforama ont mené une guerre pour l’acquisition de Darty qui s’est traduite par trois surenchères successives jeudi 21 avril et la victoire de La Fnac le mercredi 27. Comment s’explique cet acharnement réciproque ? Selon Georges Bory, co-fondateur de Quartet FS, spécialiste du traitement et de l’analyse des données in-memory, ce n’est que la conséquence du bousculement du marché initié par… Amazon. Et ce n’est pour lui que le début.
Comment analysez-vous la guerre des prix qui a eu lieu entre La Fnac et Conforama ?
Ce n’est que la conséquence d’une autre bataille qui a commencé avec Amazon et de la concurrence que le groupe a introduit en matière de prix depuis 12 ans. Ce n’a pas été le cas sur le livre, mais tout le reste a été directement attaqué par l’arrivée de l’Américain. Ce n’est pas seulement un retailer, c’est aussi un géant de l’informatique qui a utilisé son investissement pour avoir la meilleure chaine de retail du monde et devenir ainsi très dynamique.
En quoi la guerre des prix initiée avec Amazon a-t-elle un rapport avec ce qui vient se passer autour de Darty ?
Le géant américain a renversé le modèle de base, qui était celui de la boutique de quartier. Le premier gros concurrent à s’être positionné en France dans cette guerre des prix a été CDiscount, qui se pose toujours comme étant moins cher qu’Amazon. Il a été racheté plus tard par Casino qui a voulu se lancer sur le domaine du pure player. Or, cela demande d’importants investissements logistiques. CDiscount a par exemple un énorme centre à Bordeaux. La Fnac a trouvé une manière de contrer cette offensive et de renverser la vapeur en adoptant une position originale, différente de CDiscount. Conforama essaie de faire la même chose, tout comme Darty.
Comment définirez-vous cette position ?
Il s’agit d’optimiser le prix tout en faisant monétiser les avantages d’un service après vente comme celui de Darty. Si vous achetez chez cette marque, vous payez plus cher pour avoir un autre service. Mais savoir jusqu’à quel point le consommateur est prêt à payer plus cher, c’est quelque chose de très technique qui exige le recours aux data. Elles permettent d’obtenir les informations nécessaires pour savoir si, sur tel type de produit, le consommateur voudra plutôt du discount ou un service un peu plus premium. Seulement pour pouvoir tirer parti des données, il faut des investissements massifs. Par ailleurs, leur suivi sur une région ou une zone de chalandise, le fait de savoir quand le produit est prêt à être retiré, toute cette organisation-là a également un coût conséquent. Le modèle traditionnel du retail reposait sur l’immobilier, c’est-à-dire la location des locaux, les fournisseurs et le fait de racheter au plus bas coût. Avec l’arrivée d’Amazon, les investissements doivent s’orienter vers l’informatique, le big data, la digitalisation, mais aussi la logistique. Pour y parvenir, les sociétés ont intérêt à se regrouper pour faire des économies d’échelle. Les commerces isolés ne peuvent maintenir le rythme. Pour survivre, les groupes doivent grossir, d’où la guerre rudement menée entre ces deux acteurs. Il s’agit pour eux de trouver un équilibre entre un prix pas trop cher, car les clients n’achèteraient pas, et un service que n’offre pas Amazon ou CDiscount. Nous sommes ainsi en train de passer du modèle de la boutique de quartier à celui de l’industrie aéronautique, avec deux acteurs.
Est-ce selon vous l’avenir du business ?
Avec la digitalisation du retail et le phénomène du “plus gros qui gagne”, il va y avoir des effets de concentration face à la taille d’Amazon. Il y a encore pas mal d’indépendants, mais les acteurs sont obligés de se regrouper et de fusionner pour amortir les investissements sur de plus gros volumes et au niveau de services centraux. Il n’est pas impossible que Conforama se tourne vers d’autres opportunités d’acquisition, par exemple.
Ces stratégies de regroupement ne sont-ils pas inquiétantes pour les consommateurs ?
Ces stratégies me paraissent plutôt positives parce qu’au lieu d’avoir une offre uniforme mondialisée et de tout avoir à acheter chez Amazon ou chez des discounters, nous voyons se développer des offres de services différenciés qui correspondent à des besoins définis. Un jour, on ira chez un discounter parce qu’on n’aura pas envie de payer cher, puis le lendemain on ira plutôt dans un magasin premium. Quitte à ce qu’il n’y ait plus que des grands groupes, autant qu’ils soient diversifiés.