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Coronavirus : des enseignes de restauration lancent une action commune face aux bailleurs

Avec la crise liée au coronavirus, les commerçants sont confrontés à une baisse importante de chiffre d’affaires, voire à un arrêt total de leur activité. Si le gouvernement a acté le report des loyers, plusieurs enseignes de restauration ont lancé une action commune afin de peser face aux bailleurs et ainsi obtenir l’annulation pure et simple des montants dus pour la période de confinement. Explications avec Jean-Baptiste Gouache, avocat à la cour et associé au sein du cabinet Gouache Avocats.

Dans quel contexte intervient cette action commune de plusieurs enseignes face aux bailleurs ?

Aujourd’hui, avec la crise du Covid-19, certaines enseignes font face à une obligation de fermeture de leurs locaux commerciaux. Deux arrêtés viennent ainsi lister les activités qui ne peuvent plus s’exercer librement. Ces réseaux sont mis face à l’impossibilité de jouir de leurs locaux, soit de manière totale comme pour les coiffeurs, les salons d’esthétique ou encore les exploitants de salles de sports, soit de manière partielle, ce qui est le cas en particulier des restaurateurs. Ces derniers peuvent poursuivre l’exercice de leur activité de vente soit en livraison soit à emporter. Pour cette dernière solution, le décret du 16 mars dernier, restreignant la liberté d’aller et venir et actant le confinement influe sur la fréquentation et limite donc ce pan de l’activité pour les restaurateurs. Face à cela, les fédérations de commerçants ont élevé la voix et ont sollicité la suspension des loyers, ce qui a été acté dans une ordonnance, publiée ce mercredi 26 mars au Journal Officiel. Celle-ci prévoit que les loyers des entreprises sont suspendus, jusqu’à deux mois après la date de cessation de l’État d’urgence sanitaire. Une date qui n’est aujourd’hui pas encore actée puisque la sortie de la crise est encore loin. Cela signifie que les commerçants et restaurateurs ne pourront pas se voir appliquer des pénalités, des intérêts de retards, des dommages et intérêts, des astreintes contractuelles ou encore des clauses pénales, d’échéance du terme ou résolutoires en raison du défaut de paiement du loyer et des charges.

Toutefois, cela ne signifie pas que les loyers sont annulés. Est-ce exact ?

Tout à fait. La loi acte un report des loyers mais ne dit pas que les baux sont suspendus et donc que par conséquent les loyers sont annulés. Cette position de l’ordonnance est parfaitement insatisfaisante pour les enseignes puisqu’elle est moins disante par rapport au droit commun des contrats qui prévoit l’obligation de délivrance du bailleur. Cela signifie que ce dernier est tenu de délivrer au commerçant un local apte à l’exercice de l’activité autorisée à la clause de destination du bail et notamment un local ouvert au public pour tout ce qui a été envisagé dans le bail. Sauf, qu’aujourd’hui les arrêtés de fermeture, pour les activités concernées, empêchent les bailleurs d’exécuter leurs autorisations de délivrance et ne peuvent donc pas accorder la jouissance des locaux. Ces arrêtés constituent un cas reconnu de force majeur.

Quels sont donc les recours pour les enseignes et leurs franchisés ?

En tant que commerçant locataire vous pouvez tout à fait opposer à votre bailleur le fait qu’il ne peut plus mettre le local à votre disposition du fait de la force majeure et de l’exception d’inexécution. Donc, concrètement, vous êtes en droit de lui dire “vous ne mettez pas à disposition le local, donc pendant tout le temps de cette indisposition je ne règle ni le loyer ni les charges afférents au local”.
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En revanche, quels recours pour les commerçants et les restaurateurs qui peuvent encore avoir une activité partielle ?

Dans ce cas, il faut examiner si la jouissance normale du local est affectée. Si c’est le cas, on peut se baser sur la jurisprudence existante relative à la force majeure. Il y a en effet une décision intéressante pointant qu’il y a force majeure si les décisions réglementaires empêchent de fonctionner dans les mêmes conditions qu’auparavant (accueil de la clientèle etc.) Or, qu’est-ce qui est prévu pour un restaurateur, par exemple ? Ce dernier a signé un bail pour un local ouvert au public pour servir des repas sur place et il a développé généralement à titre accessoire la vente à emporter, qui est à l’heure actuelle limitée par le confinement. En conséquence de quoi, le restaurateur peut également opposer la force majeure et l’exception d’inexécution à son bailleur. Sauf que cela doit être proportionné. Dans ce cas précis, le bailleur peut continuer à mettre à disposition le local de manière licite pour la vente en livraison et à emporter. Dans cette situation, le restaurateur doit démontrer qu’il n’est plus capable de fonctionner dans les mêmes conditions qu’auparavant et qu’en conséquence il est fondé à opposer à son bailleur la force majeure et donc l’exception d’inexécution. Donc, imaginons que ces modes de distribution représentent en temps normal 10 % du chiffre d’affaires total du restaurateur, ce dernier en droit de demander à ne payer que 10 % de son loyer durant cette période.

Cela signifie-t-il qu’en opposant la force majeure et l’exception d’inexécution, le franchisé est assuré de ne pas être redevable de ces loyers ?

Absolument. Les loyers sont effacés et ne seront pas dus après la crise sanitaire. À l’évidence, ce n’est pas du tout la position des bailleurs et la position de l’ordonnance est un compromis politique. En revanche, la situation actuelle n’empêche absolument pas d’utiliser les règles de droit commun et à partir du moment où ce droit est plus favorable aux enseignes et à leurs franchisés, elles ont tout intérêt à s’en prévaloir. Car leur objectif est de sauvegarder leur trésorerie et d’aider leurs franchisés à passer le cap.

Est-ce dans ce but que plusieurs enseignes vous ont sollicité…

Tout à fait. La démarche que nous avons engagé pour un certain nombre d’enseignes de restauration s’inscrit complètement dans ce contexte. Ces réseaux nous ont demandé de regrouper, dans un même courrier, leurs arguments sur la force majeure et l’exception d’inexécution vis-à-vis des bailleurs. Une dizaine d’enseignes se sont regroupées, d’autres nous ont sollicité pour la même démarche mais de façon individuelle. Depuis une semaine, nous sommes clairement submergés par les demandes.
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Concrètement, qui peut se mobiliser pour opposer le cas de force majeure et l’exception d’inexécution ? Est-ce davantage le rôle du franchiseur ou celui du franchisé ?

Les franchisés, individuellement, doivent agir. Car il faut bien comprendre que ce sont des arguments qu’il faut opposer formellement, pour chacun des points de vente. Donc, que ce soit le franchiseur pour l’ensemble de ses succursales, ou les franchisés pour l’ensemble des points de vente qu’il peut avoir, il faut adresser un courrier recommandé au bailleur. Il ne faut pas traîner pour le faire et profiter des échéances d’avril mais aussi les échéances trimestrielles qui devront bientôt être reçues par les franchisés pour envoyer un courrier formel en expliquant clairement pourquoi vous êtes soumis à la force majeure et pourquoi vous pouvez opposer une exception d’inexécution.

Les enseignes peuvent-elles faire ce travail pour les franchisés ?

Je pense que les enseignes ont un rôle d’information très important à jouer auprès des franchisés, c’est certain. Parce que leur intérêt est d’assister leurs partenaires dans le respect de leur indépendance et de les aider à faire toutes les économies que le droit permet. Au sein du cabinet, nous avons mis en place un produit qui permet aux réseaux mais aussi à leurs franchisés à titre individuel, de nous solliciter pour effectuer les démarches auprès du bailleur. Il s’agit d’un courrier d’avocat adapté à la situation de chacun (facturé 49 euros HT + le prix de la lettre envoyer en recommandé). Ce courrier est envoyé au bailleur pour solliciter la suspension des contrats, ou en cas d’imprévision, nous demandons la révision du loyer par négociation. Dans le cadre de ce nouveau service, nous avons eu plusieurs cas de figure. D’un côté les enseignes qui préfèrent que leurs franchisés prennent l’initiative de souscrire à ce service à titre individuel, sans le leur imposer. Et de l’autre, certains réseaux ont fait le choix d’obtenir un accord des franchisés sur la démarche et ont centralisé eux-mêmes tous les documents nécessaires (baux, éventuels avenants, avis d’échéance…) pour nous les remettre. Dans ce cas, nous facturons à l’enseigne qui est à charge de répartir ce coût auprès des franchisés.
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Sans nouvelles du bailleur, les franchisés sont-ils en droit de suspendre les sommes dues ?

Si vous n’avez pas de retour du bailleur, vous n’avez plus rien à faire à part, effectivement, suspendre les loyers. Car à partir du moment où vous avez opposé le cas de force majeure et l’exception d’exécution, vous êtes en droit de retenir tous les paiements inhérents au local.

D’après vous, le gouvernement aurait-il dû aller plus loin et ne pas annoncer qu’un simple report ?

L’ordonnance qui vient d’être publiée préserve les revenus des bailleurs. Comme je le disais, c’est un compromis politique. Ce sont des milliards d’euros de loyers qui sont concernés. Mais je pense que, malgré la situation inédite, les commerçants doivent prendre conscience que l’état de droit demeure et que les règles continuent de s’appliquer. S’ils ne font rien, ils seront contraints de payer les loyers. Alors, il faut utiliser toutes les ressources de notre système juridique pour parvenir aux solutions qui s’imposent. Je suis convaincu que si l’ensemble des enseignes et leurs franchisés agissent massivement, ensemble, cela participera d’une solution portée par les fédérations de commerçant. Une voix qui risque d’être mieux accueillie par les pouvoirs publics et qui pourrait consister, le cas échéant, en une mesure législative spéciale admettant finalement que nous sommes bien dans un cas de force majeure et d’exception d’exécution, annulant donc les loyers. Ou tout du moins, cela pourrait aboutir à la définition d’une politique judiciaire concernant le traitement des contentieux qui résulteraient de cette situation et qui établiraient une standardisation des décisions de justice sur ce sujet.

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