Si en 2019, une étude Mood Media et Walnut Unimixte indiquait que 90 % des consommateurs étaient enclins à revenir en magasin si une atmosphère agréable s’en dégageait, le défi des retailers est aujourd’hui d’allier esthétique et pragmatisme tout en étant inspirant. Visite de ces lieux disruptifs avec leurs concepteurs.
Si les annonceurs sur-sollicitent les agences de design et merchandising pour créer des concepts innovants, il ne faut jamais oublier de rester pertinent vis-à-vis des attentes et des pratiques des consommateurs, estiment David Hamelin et Antoine Bertheas, cofondateurs de l’agence Parabellum, spécialisée dans l’analyse et le déploiement de nouveaux concepts commerciaux. “Souvent, plus le concept magasin est complexe à lire par le consommateur, plus il est coûteux à raconter et à exploiter. Nous défendons l’idée que le côté expérientiel doit toujours être au service de la vente et donc favoriser la transaction et la fidélité”, ajoute le duo. À commencer par l’horloger suisse Swatch, qui depuis la réouverture de son Megastore (Champs-Elysées) en mai dernier, scénarise ses produits via une visite immersive de Paris.
Miser sur la scénographie immersive
“C’était rendre hommage à Paris en plein Paris ! Faire en sorte que le lieu garde le dynamisme et la forte personnalité que la marque Swatch incarne”, explique Carlo Giordanetti, CEO du Swatch Art Peace Hotel. Colonne Morris, fausse bouche de métro, étal de bouquinistes, l’illusion fonctionne pour tous, touristes et locaux. “L’idée au sein du projet est celle de créer un « bain » dans l’air de Paris. Une rotonde autour de laquelle on retrouve des devantures de boutiques traditionnelles, type boulangerie, fromagerie, cordonnerie, pour garantir l’authenticité de l’expérience. De même, des stands de bouquinistes, une fresque de l’artiste Thomas Dartigues, des vidéos de promenades urbaines. En somme, tout ce qui rend Paris unique”, précise Carlo Giordanetti.
Et d’ajouter: “Une telle scénographie se prête facilement à devenir le set de selfies, de stories Instagram, de création de contenu digital, que nos clients utilisent pour raconter leur expérience et nourrir les réseaux sociaux.” Enfin, l’adresse promet du sur-mesure : “Nous avons ici l’une des quatre imprimantes au monde qui permet de réaliser sur place la personnalisation “Swatch X You”, afin que chacun puisse créer sa propre montre en l’espace de quelques minutes !”, indique Carlo Giordanetti. Et bien sûr, le Megastore expose des montres phares. “Parmi les meilleures ventes, sauf les MoonSwatch [partenariat avec Omega], il y a la nouvelle montre Destination Paris, tout comme la montre créée en collaboration avec le Café de Flore, et bien sûr les grands classiques et les créations pailletées.”
Le groupe Pernod-Ricard France capitalise aussi sur une scénographie immersive autour du “MX”, son nouveau concept store de 1 000 m², inauguré aux Docks de Marseille en juin 2021. Un lieu dédié à la pétanque, à la mixologie et à tout son univers anisé. “L’idée c’était de réenchanter l’anis qui est l’épice star de la marque. Et de rendre à Marseille, ce que la ville a donné à Paul Ricard ! À l’évidence, on s’est installés sur les anciens docks où arrivaient les bateaux chargés de badiane !“, relate Christina Woonings Apicella, directrice du MX Marseille et de l’hospitalité Pernod Ricard France. Et de nous décrire ce lieu, composé de 4 espaces et signé par l’architecte Rubikle : “Le musée raconte notre saga publicitaire et met l’accent sur les processus de fabrication des produits. La boutique, couleur lavande comme le plateau de Valensole valorise une offre de produits locaux. Comme nos spiritueux, du savon, ou de l’huile d’olive au fenouil, tous présentés dans des linéaires épurés. Notamment pour nous différencier des grandes surfaces.” Au-delà des ateliers de mixologie et pastisologie, le bar lui, expose les nouveautés. “Parmi elles, la gamme Ricard bio, à l’amande, au citron ou aux plantes fraîches. Cela réveille les sens et permet à ceux qui voudraient prolonger cette découverte, de les acheter ensuite. Pour nous, c’est créer l’acte d’achat.” L’espace prend également vie autour d’un parcours immersif avec des animations digitales et autour d’une attraction; la visite en 3D en Méhari, de Marseille.
De la boutique à la galerie d’art
Et lorsqu’on personnalise, on ne peut pas être copié. C’est ce dont Patrick Roger s’assure autour de la scénographie de ses magasins de La Madeleine et de Saint-Sulpice à Paris, qui s’apparentent à des galeries d’art où les sculptures en chocolat composent elles-mêmes l’architecture des lieux, doublées de sculptures en aluminium. “Ça naît comme ça et ça part dans tous les sens. Il ne faut surtout pas qu’il y ait de schéma défini. Je n’ai pas de business plan et c’est la même chose dans la création“, explique le créateur du singe Harold (62 kilos de chocolat). Un agencement qui demeure futuriste et disruptif sur le marché. Quant à ses prochaines vitrines, elles seront bientôt habillées de sumos, en lien avec les temps forts de l’année.
Exclusivité et cadre intimiste
Drinks &Co (Pernod Ricard), à la gare Saint-Lazare, prône aussi l’exclusivité. Le magasin, ouvert en octobre 2020, détient non seulement 2 000 références de vins, champagnes et spiritueux (et 30 000 en ligne), mais offre aussi une expérience sensorielle et sur-mesure aux novices et connaisseurs. “L’idée, après notre déploiement digital qui a touché plusieurs marchés européens, était d’améliorer l’expérience client avec un flagship différenciant et premium sur le marché”, explique Louis de Fautereau, directeur général du concept store de Drinks&Co, et dont l’architecture a été confiée au cabinet Saguez. Ce dernier a traduit le concept autour d’une “approche holistique et moderne” avec une fresque végétale au plafond, un mobilier en marbre et velours, et des éléments dépliants comme des tables-présentoirs à (dé)plier selon les temps forts de la journée. L’objectif de cet agencement ? Rendre l’espace hybride et fonctionnel. “Il y a toute une partie retail où l’on peut choisir des produits ou les déguster avant l’achat, ce qui est plutôt rare, un bar où l’on peut demander un cocktail sur-mesure, ainsi qu’une salle et une terrasse animées avec une programmation musicale éphémère. Et enfin une salle pour la formation professionnelle”, précise Louis de Fautereau. De plus, le concept store propose des ateliers, et des breuvages inédits (baies de Timur, safran ou encore saveur CBD), doté d’un outil de distillation très convoité sur le marché, la Rotovape. En bref, rien que l’on retrouverait chez un traditionnel caviste.
Pour Marine Chang, cofondatrice de la marque Fleuron Paris, l’exclusivité et l’intimité sont même le nouveau luxe. Fleuron Paris, née du digital en 2020, aura ouvert sa première adresse en mai dernier dans le neuvième arrondissement de Paris recevant des clients dans un bel écrin, sans pour autant confidentialiser l’expérience. Côté décoration, la cofondatrice de cette DNVB* aura sollicité le studio Insidy pour faire découvrir ses collections durables en production limitée et sourcées auprès de tanneurs italiens, dans un cadre décontracté. “Nous avons créé un espace à l’ambiance épurée et cosy dans lequel le client ne se retrouve pas dans un simple magasin de sacs, mais plutôt dans un appartement ou l’on peut prendre son temps.”
Fidéliser par la proximité
Le magasin s’est aussi doté de la fonction sociale, constate Parabellum. Et Don’t Call Me Jennyfer, suivie par 1,3 millions d’Instagrammers et 500 500 tiktokers, de faire de ses boutiques, des lieux dédiés aux adolescents depuis sa reprise en 2018 par Sébastien Bismuth. “Nous avons déployé des cabines à TikTok où chacun peut librement créer ses contenus avec ses amis sans être dérangé. Tout est parti du constat qu’aujourd’hui, le shopping est considéré comme un hobby pour les adolescents. Et que les retrouvailles entre amis ont lieu au centre-commercial. Nous avions donc à cœur, lorsque nous avons repensé les magasins, de leur proposer un environnement plaisant et en phase avec leurs habitudes”, explique ainsi Chloé Ortiz, directrice de la marque. Coloris pastels ou monochromes, mobilier flashy prêt à être liké sur les réseaux sociaux, écrans géants pour événementialiser les collections spéciales, comme au nouveau flagship des Halles (350 m²), tout est fait pour cibler les jeunes sur le réseau magasin (228 unités). Mais en s’appuyant sur une forte stratégie d’influence et de drive-to-store. “Nous travaillons avec 200 influenceurs et des artistes qui collent aux attentes des jeunes, mais sans storyboard imposé par l’enseigne car c’est ce qui fait sa force”, déclare Chloé Ortiz.
Même fer de lance pour Alinea, aujourd’hui plus proche des urbains avec son nouveau magasin parisien (rue de Rennes), inauguré en juin 2021.“Il fallait aller là où sont nos clients et se faire connaître. Cela permet aussi aux équipes de (ré) apprendre à travailler sous une autre logistique et à sélectionner une offre différente pour de plus petites surfaces de vente et de stockage. Et d’inspirer le client à revenir en boutique puisque nous renouvellerons fréquemment les collections”, explique Alexis Mulliez, à la direction générale. Enfin, Alinea décloisonne les rayons pour équilibrer les ventes décoration/mobilier et scénariser les pièces de vie: “Les tapis sont présentés avec les meubles, canapés et rideaux. Et il y a une cohérence entre les textiles, les motifs et les couleurs, allant de la chambre à la cuisine.” L’ambition du dirigeant ? Travailler sur un concept itératif et susciter le retour du client. Et “allier la puissance du grand magasin au charme de la plus petite boutique !” 180 000 visiteurs sont espérés d’ici fin 2022.
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