Le gouvernement, à l’unisson, s’est prononcé assez rapidement sur le rachat de Carrefour par Couche-Tard. C’est non. Pour Philippe Goetzmann, conseil stratégique/conférencier retail et grande consommation, en France, vie des affaires et vie politique sont bien trop liées.
Le gouvernement a opposé une fin de non-recevoir au fondateur de Couche-Tard. Cela vous surprend ?
Bien sûr que non ! À quinze mois des prochaines présidentielles, c’était purement et simplement injouable. Bruno Le Maire a évoqué la souveraineté alimentaire française. Très bien. Mais dans un contexte politique hautement instable, le risque pour Emmanuel Macron, potentiel candidat à sa réélection, était bien trop grand d’être attaqué par sa droite ou sa gauche, sur ces questions de souveraineté économique. Avec les précédents Alstom/General Electric ou Arcelor/Mittal, comment ne pas imaginer Arnaud Montebourg, possible candidat, ne pas s’en donner à cœur joie si une hausse des prix intervenait chez Carrefour ou que l’accord du CETA revenait sur la table.
Il est étonnant que les dirigeants de Couche-Tard se soient lancés à quinze mois des élections ?
Pas tant que cela. La France est un des rares pays où la vie des affaires interfère autant avec la vie politique. Nous sommes un des pays le moins libéral du monde occidental. Les dirigeants canadiens de Couche-Tard ne pouvaient être que très surpris. En revanche, je m’interroge plus sur ceux qui ont accompagné le groupe, avocats et banquiers d’affaires, lobbyistes, etc. Comment pouvaient-ils ignorer que la législation française permettait de s’opposer à cette opération ? Et que le gouvernement s’y engouffrerait.
Ne pensez-vous pas que cette opération aurait présenté un intérêt ?
Pour qui ? Pour les actionnaires de Carrefour, oui, très certainement. En termes de projets de développement, je ne suis pas convaincu par les synergies entre les deux groupes. Pour Carrefour, c’était un chèque de trois milliards à prendre pour lancer de nouveaux investissements. Mais c’est une somme que le groupe n’aurait aucun mal à lever quoiqu’il arrive. Certes, Carrefour est aujourd’hui sous-valorisé. Mais il pouvait y avoir des inquiétudes, à moyen terme, sur la vente à la découpe de certains morceaux de Carrefour.
Un rachat qui aurait surtout pu être intéressant pour Couche-Tard finalement à vous écouter ?
Oui, si l’on sait, comme l’ont fait remarquer certains observateurs, que le groupe canadien tire 70 % de ses revenus du carburant. Vous en conviendrez, ce segment n’est pas nécessairement le business de l’avenir…Pour le groupe il s’agissait ainsi de pouvoir rééquilibrer son business model en pivotant sur l’alimentaire et l’expertise de Carrefour. Et de bénéficier des compétences du Français tant sur les formats de magasin que sur le drive dont il maîtrise parfaitement les tenants et les aboutissants.