La crise du coronavirus a rendu nécessaire l’élaboration d’une législation d’exception, afin d’aménager les règles du droit commun au cours de cette période troublée, à commencer par les questions relatives au retard apporté dans l’exécution des contrats. Me François-Luc Simon, expert en droit économique et droit des contrats, et membre du Collège des experts de la Fédération Française de la Franchise, nous livre son éclairage.
Selon vous, l’épidémie de Covid-19 a donné lieu à un texte dédié au retard apporté dans l’exécution des contrats. Pouvez-vous nous en dire plus ?
On relève deux textes à ce sujet. Tout d’abord, l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. Il s’agit de l’une des toutes premières ordonnances élaborées. Ensuite, l’Ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, qui complète et modifie opportunément la précédente ordonnance.
Que prévoient ces textes ?
En substance, ces dispositions paralysent le jeu de certaines clauses sanctionnant un retard dans l’exécution des obligations. La raison d’être de ces textes consiste à
“redonner” au débiteur le temps dont il a été privé au cours de la période juridiquement protégée pour s’exécuter et éviter de voir son retard sanctionné.
Vous avez été, semble-t-il, le premier à relever l’existence de similitudes entre le dispositif actuel et celui issu des événements de mai 1968 ; qu’en est-il exactement ?
Les ordonnances des 25 mars et 15 avril 2020
s’inspirent largement en effet de la loi n°68-696 du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968.
Des passages entiers sont de véritables
“copiés-collés”. Ainsi, quand l’article 3 de la loi de 1968 prévoyait que “les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un certain délai, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet si ledit délai a expiré entre le 10 mai 1968 et le 1er juillet 1968 inclus”, l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 indique désormais que “les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er”.
Et, lorsque les articles 3 et 4 de la loi de 1968 prévoyaient que
“ces astreintes prendront cours et ces clauses produiront leurs effets à compter du 16 septembre 1968 si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant cette date”, l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 indique dorénavant que
“si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée”, puis à l’alinéa suivant : “
La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, autre que de sommes d’argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l’article 1er, est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période”.
Ou encore, quand les articles 3 et 4 de la loi de 1968 prévoyaient que
“le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 10 mai 1968 sont suspendus entre cette date et le 1er juillet 1968 inclus”, l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 indique à présent que
“le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er”. Le juriste éprouve alors
un sentiment de déjà-vu…
Quelles sont les conséquences pratiques de ces similitudes ?
Le juge a pour fonction d’interpréter les textes. Ces interprétations, quoique nécessaires, sont souvent sources d’insécurité juridique, en particulier lorsque le texte à appliquer est nouveau et/ou que la situation est nouvelle.
Compte tenu des similitudes fortes ainsi signalées, il est plus que probable que l’interprétation donnée en son temps par la jurisprudence – en particulier celle de la Cour de cassation – , en application de la loi de 1968, sera reprise à l’identique par le juge appelé à trancher des différends sur le fondement de la loi
“nouvelle”.
Dit autrement, le passé éclaire l’avenir. Ce constat est précieux quand on sait que ces textes ont donné lieu à maintes interprétations sur plusieurs points de droit tranchés par la Cour de cassation. Le justiciable y gagne donc indéniablement en prévisibilité juridique.