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[Tribune d’expert] Concurrence : quelles juridictions pour statuer ?

TRIBUNE – Dans le cas d’un contentieux relatif aux pratiques restrictives de concurrence, seules certaines juridictions spécialisées ont les compétences pour statuer. Mais dans les faits, c’est plus compliqué que cela. Le point avec François-Luc Simon, associé-gérant du cabinet Simon Associés.

En préambule, ce qu’il faut retenir :

L’action en responsabilité contractuelle pour rupture brutale d’une relation contractuelle, qui ne se réfère qu’aux dispositions du Code civil en la matière et ne fait pas référence aux pratiques restrictives de concurrence, ne relève pas de la compétence des juridictions spécialisées désignées par l’article D.442-3 du Code de commerce. Par ailleurs, en cas de décision en matière de pratiques restrictives de concurrence rendue à tort par une juridiction non spécialisée, l’appel à l’encontre de cette décision relève de la cour d’appel dans le ressort de laquelle la juridiction de première instance est située. La cour d’appel sera alors conduite à relever d’office une fin de non-recevoir pour défaut de pouvoir de la juridiction ayant rendu le premier jugement.

Pour approfondir :

En application des articles L.442-4, III et D.442-3 du Code de commerce, seules certaines juridictions spécialisées ont compétence pour connaître des contentieux relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, dont la rupture brutale des relations commerciales fait partie. La seule cour d’appel compétente pour les recours en la matière est la Cour d’appel de Paris. Par deux décisions récentes, la Cour de cassation revient sur les questions soulevées dans les cas où des juridictions non spécialisées (qui ne devraient donc pas être compétentes pour juger ces litiges) ont à connaître de contentieux portant (notamment) sur des pratiques restrictives de concurrence ou des demandes similaires. En premier lieu, la Cour de cassation rappelle que lorsque les dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce (ancienne numérotation) ne sont pas soulevées par les parties, mais que l’action – bien que portant sur une rupture unilatérale de leurs relations commerciales, opérée de manière abusive et brutale – est fondée sur les articles du code civil, le contentieux ne relève pas des juridictions spécialisées. Dans cette affaire (Cass. com., 18 septembre 2019, n°18-10.225), une société de courtage en assurance avait mis fin à sa relation commerciale avec un prestataire, en raison d’un retard et d’un dépassement de budget dans la livraison d’une solution informatique de gestion.

Action irrecevable ?

Le prestataire évincé avait alors introduit une action contentieuse devant le Tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir réparation du préjudice qu’il considérait subir du fait de la rupture unilatérale, brutale et infondée de la relation commerciale. Cette action était introduite, non pas sur les dispositions de l’article L.442-6 du Code de commerce (ancienne numérotation), mais sur le fondement des articles 1134, 1147, 1149 et 1184 du Code civil. Dans son assignation, le prestataire avait d’ailleurs pris la précaution de préciser que son action n’était pas fondée sur article L.442-6, I, 5°, excluant donc toute intention d’invoquer la législation applicable aux pratiques restrictives de concurrence. Malgré cette précision explicite du demandeur, la Cour d’appel de Versailles avait déclaré l’action du prestataire irrecevable, considérant que bien que la disposition de l’article L.442-6 du Code de commerce n’ait pas été visée par le prestataire dans son action, les juges du fond pouvaient valablement considérer être en réalité saisis d’une demande d’indemnisation fondée sur l’article L.442-6, I, 5°, du Code de commerce relevant de la compétence du Tribunal de commerce de Paris, juridiction spécialement désignée par l’article D.442-3 du Code de commerce. La cour de cassation adopte une position inverse en retenant qu’ “en statuant ainsi, alors que, dans son assignation, la société [prestataire] avait fondé sa demande de dommages-intérêts sur les seules dispositions du droit commun de la responsabilité contractuelle et qu’elle avait précisé devant le tribunal qu’elle ne fondait pas sa demande d’indemnisation sur l’article L.442-6 du Code de commerce, peu important ses allégations, inopérantes, renvoyant à la notion de rupture brutale d’une relation commerciale établie, la cour d’appel, qui a dénaturé les écritures de la société B…, a violé le principe susvisé”, à savoir “l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis”. La cour de cassation considère que le prestataire n’a pas agi sur le fondement des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence mais bien sur celles du droit commun (articles 1134, 1147, 1149 et 1184 du Code civil), mettant en cause la seule responsabilité contractuelle du courtier en assurance. Dès lors, son action ne devait pas être introduite devant une juridiction spécialement désignée en application de l’article D.442-3 du Code de commerce. En second lieu, dans une autre décision (Cass. com., 18 septembre 2019, n°17-19.653), la Cour de cassation rejette la possibilité de faire appel devant la Cour d’appel de Paris, d’une décision rendue à tort par une juridiction non spécialisée, en matière de pratiques restrictives de concurrence.

Quid de l’appel ?

Dans cette affaire, une entreprise de fourniture de logiciel et son client, distributeur de boissons, étaient en litige. Le distributeur de boissons avait assigné son prestataire devant une juridiction commerciale de droit commun (le Tribunal de commerce de Gap), pour obtenir le remboursement d’une facture, le versement de dommages-intérêts, et invoquait également une résistance abusive. Considérant être victime d’une rupture brutale de relation commerciale établie de la part du distributeur, le prestataire avait formé une demande reconventionnelle dans le cadre du contentieux initié à son encontre, devant le Tribunal de commerce de Gap, juridiction non spécialisée. Ce dernier a reconnu l’existence d’une telle rupture brutale, constitutive d’une pratique restrictive de concurrence. L’appel de la décision a été formé devant la Cour d’appel de Grenoble. Cette dernière a déclaré l’appel irrecevable au motif que le Tribunal de commerce de Gap a expressément fait application de l’article L.442-6 du Code de commerce et que, dès lors, seule la Cour d’appel de Paris serait compétente pour statuer sur le recours formé contre le jugement de première instance. Telle n’est pas la position de la Cour de cassation qui considère que la Cour d’appel de Gap devait tout au contraire déclarer l’appel recevable sur ce point, dès lors que la décision de première instance était rendue par une juridiction dans le ressort de la Cour d’appel de Gap. En revanche, dans la mesure où le tribunal de première instance concerné n’est pas une des juridictions spécialisées pour connaître du contentieux relatif aux pratiques restrictives de concurrence, la Cour d’appel de Paris précise que la cour d’appel ayant à connaître du litige pourra « constater, le cas échéant, le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal pour statuer sur un litige relevant de l’article L.442-6 du Code de commerce et de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel sur les demandes formées devant elle ». La Cour d’appel de Paris n’aura donc à connaître que des appels formés contre des décisions rendues par des juridictions spécialisées. Les décisions rendues par des juridictions non spécialisées pourront quant à elles être sanctionnées d’une fin de non-recevoir en appel devant la cour dans le ressort duquel elles sont situées.

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