Hausse des prix des matières premières, augmentation du côté de l’énergie, cargos bloqués en Chine, conflit en Ukraine : n’en jetez plus, la coupe est pleine. Dans ce contexte tendu, les réseaux doivent s’adapter pour limiter les dommage collatéraux en répercutant inévitablement les hausses sur le client final. Avec le risque de voir la consommation s’effriter.
Va-t-on vers des risques de pénurie ? Pour le moment, les difficultés d’approvisionnement semblent maîtrisées. Mais la fin de l’année peut s’avérer compliquée. Comme le rappelait
Jean-Pierre Dry, président de la Fédération du commerce associé (FCA), à l’occasion de la journée-rencontre organisée le mardi 17 mai 2022 à la Cinémathèque de Paris, il y a aujourd’hui plus de 1 000 cargos bloqués en Chine. L’image est forte. Lors de ce même événement, Dominique Schelcher, président du groupement coopératif Système U, partageait, à titre d’exemple, que son groupe ne disposait plus d’étiquettes autocollantes. Tous les secteurs semblent concernés par ces problématiques. La liste est longue. C’est le cas par exemple du marché de l’automobile, impacté aussi bien sur le segment de l’occasion que sur celui du neuf, les concessionnaires peinant à assurer les livraisons de flottes.
“C’est mécanique. Moins il y a de véhicules neufs, plus les délais de livraison se rallongent et donc, logiquement, moins les particuliers sont enclins à vendre leur voiture. Nous le constatons avec des baisses de stock oscillant entre 20 % et 30 %. Pour le moment, nous sommes impactés à la marge car notre modèle d’approvisionnement éprouvé nous permet de faire la différence”, explique Romain Barreau, fondateur de l’enseigne WeeCars. Dans le secteur du jouet, JouéClub estime que si les tensions logistiques datent de l’été 2021, l’enseigne aura tout fait pour anticiper la situation. Sans préjudice pour le moment.
“Sachant que le premier semestre représente environ 30 % de notre activité annuelle, nous sommes aujourd’hui en capacité de bien servir nos clients car globalement nos stocks sont au bon niveau”, note Franck Mathais, porte-parole de JouéClub.
Du côté de l’Ukraine
On le voit, l’approvisionnement est devenu une question prioritaire depuis la reprise économique de 2021. Or, la crise en Ukraine accentue les effets de déséquilibre entre offre et demande sur le marché. La situation internationale a rebattu les cartes avec la pénurie de matériaux indispensables dans certains secteurs
comme l’acier, le verre ou aluminium, qui proviennent en grande partie
d’Ukraine, de Russie ou de Biélorussie.
“Il faut, en plus, prendre en compte la hausse du coût de l’énergie (amorcé avant la crise, le prix du gaz a été multiplié par sept en un an). D’abord en ce qui concerne les trajets sur chantier, les déplacements, les transports de matériaux et de matériel, mais aussi sur la production de chaleur. Certains produits nécessitent en amont des fontes ou des cuissons à des températures extrêmes : aluminium, tuiles, briques, carrelage, etc. La France est d’ailleurs déjà en manque de carrelage et de tuiles”, observe Fabio Rinaldi, président du directoire de BigMat France. Côté aluminium, vitrage et bois, c’est la même soupe à la grimace.
“En février 2022, nous avons fait face à une première hausse tarifaire de 13 % à 15 %. Au 1er juillet, c’est une nouvelle hausse de 9 % sur l’ensemble de la gamme”, constate Cyril Ecuyer, fondateur de l’enseigne Bel’vue, spécialisée dans la pose de fenêtres de toit.
Des difficultés d’approvisionnement générales, donc, qui impactent bien évidemment les franchisés. C’est notamment le cas de Paul Chemana, franchisé Bchef, concept de fast casual, et malheureusement habitué à ces aléas.
“La pandémie a généré des fermetures et des problèmes d’acheminement. Nous avons déjà subi des ruptures produit et de conditionnement (papier, carton, emballage), beaucoup provenant de Chine”, se souvient-il.
Egalement en alerte sur le sujet, Burger King estime qu’il existe bien évidemment des tensions communes à la restauration rapide et plus largement à la grande distribution, sur l’huile ou encore le bœuf. Pour le moment, la filiale du groupe Bertrand n’a pas enregistré de ruptures sur ces produits. Même constat chez Vulco France, le spécialiste du pneumatique, qui lui aussi doit faire preuve d’agilité et d’une grande écoute du marché.
“Nous étudions en permanence l’impact de la situation et travaillons pour éviter les ruptures, tout en restant vigilants sur le niveau de demande afin d’éviter toute mauvaise surprise quant au stock”, précise Camille Mounier, présidente et directrice générale de Vulco France.
Si du côté de la boulangerie Feuillette,
la direction parvient à maintenir une disponibilité régulière des matières premières, la situation ne va pas en s’améliorant.
“Nous sentons que le marché se tend et estimons que d’ici la fin de l’année, la situation sera plus compliquée”, projette le fondateur Jean-François Feuillette.
Une inflation galopante
La conséquence ? L’inflation est en train de s’ancrer durablement. Lors de la journée-rencontre de la FCA, le ton était d’ailleurs donné :
“Il y a 30 ou 40 ans, nous faisions face à une inflation très importante de plus de 10 %. Mais cette dernière était contrebalancée par une croissance forte”, expliquait Dominique Schelcher, président du groupement coopératif Système U, en conférence inaugurale. Et ce dernier d’ajouter :
“D’après les estimations, nous sommes à mi-chemin de ce qui risque de se produire à la fin d’année.” Une analyse partagée par Jean-Pierre Dry, président de la FCA :
“Nous en sommes à quatre points d’inflation. Nous pourrions arriver à huit points d’ici la fin de l’année. Ce serait catastrophique. On constate des hausses de prix de 7 % dans le secteur du jouet, entre 2 % et 3 % dans celui de l’optique. Il y a beaucoup d’incertitudes. Le prochain gouvernement devra impérativement s’emparer de ces sujets pour éviter un nouveau mouvement social, identique à celui des Gilets Jaunes en 2018.”
Difficultés d’approvisionnement et hausse des prix des matières premières ont forcément des répercussions sur le client final. Si, comme le précise l’Insee, on constate une accélération des prix alimentaires sur un an,
la hausse des prix des services se renforce également
en mai à + 3,2 %, après + 3 % en avril 2022. Même constat sur
les prix des produits manufacturés qui accélèrent
(+ 2,9 % en mai, après + 2,6 % en avril dernier). Du côté des enseignes, difficile pour elles de prendre en charge la totalité de ces augmentations.
“Nous avons réalisé une première augmentation globale de nos prix en mars, de l’ordre de 4 %. Au regard de l’évolution de certaines matières premières, c’était inévitable. Nous avons toutefois décidé de ne pas répercuter cette hausse sur la baguette Tradition”, commente Jean-François Feuillette.
Tous secteurs confondus
Dans la restauration, certaines enseignes, via des éléments de langage rodés, signifient également qu’elles ne pourront faire autrement que d’augmenter leur prix auprès des consommateurs.
“Même en réduisant nos marges, la hausse constante et très forte des matières premières nous conduit à pratiquer certains ajustements de prix dans nos restaurants. Cependant, ils restent inférieurs à l’inflation que nous subissons et qui concerne presque tous nos ingrédients ainsi que le coût de l’énergie”, assure-t-on chez Burger King qui rappelle que ses franchisés restent ensuite libres de fixer eux-mêmes leurs prix de vente aux clients.
Du côté des spécialistes de la construction, l’enseigne
BigMat indique avoir tout fait pour limiter l’impact des premières hausses tarifaires au premier semestre 2021, mais que tels efforts ne sont plus possibles.
“La fréquence et l’ampleur de ces hausses nous obligent à répercuter les nouveaux tarifs appliqués par nos fournisseurs au fil de l’eau. Il en va de la survie de nos entreprises”, justifie Fabio Rinaldi.
Chez le spécialiste de l’équipement et de l’entretien des véhicules Point S, la direction estime pouvoir se limiter à impacter ces augmentations au niveau appliqué par les fournisseurs. Même constat chez Vulco France, qui à l’instar de Point S, répercute cette hausse mais joue aussi sur des opérations promotionnelles. Quant à Hubside.Store, le spécialiste du numérique affirme, pour l’instant, ne pas être touché par la situation.
“Notre modèle économique, auto-alimenté, tourné vers le circuit-court, le local et ne dépendant que faiblement des importations, nous permet de maîtriser les coûts. Il n’y aura donc pas d’effet sur nos prix”, confie Jean-Pierre Galera, directeur général adjoint de l’enseigne.
Une rare exception qui ne doit pas faire oublier que les franchisés chefs d’entreprise sont bien évidemment concernés par ces hausses et qu’ils n’ont pas d’autre choix, mécaniquement, que de les répéter. Comme l’explique Paul Chemana, franchisé Bchef :
“Les tarifs ont été multipliés par deux ou par trois sur le lait, la viande, le beurre et le fromage. Je suis obligé d’augmenter les prix sur ma carte, d’autant plus que le Smic a été revalorisé par le gouvernement (à + 4 %). Et je n’ai pas de visibilité ni pour l’été ni pour la rentrée.”
Face à la répercussion des hausses, quels seront les comportements des consommateurs ? De même, pour les franchisés, se posera la question du remboursement des PGE [prêts garantis par l’État] souscrits pendant la pandémie. Autant d’incertitudes qui planent sur toutes les différentes filières et acteurs de l’économie française.
Article écrit en collaboration avec Valentine Puaux