Le libéralisme est devenu l’un de ces mots – valise qui tiennent lieu de mantra. À force de l’utiliser n’importe comment,
il finit pourtant par ne plus dire grand-chose. Notre système économique est-il vraiment libéral ? Il permet plutôt d’étendre démesurément le domaine du droit de propriété, au détriment de la liberté du commerce justement. Par Monique Ben Soussen, avocat à la cour au sein du cabinet BSM.
Deux décisions récentes de la Cour de cassation suffisent à s’en convaincre : ce n’est plus la liberté qui innerve le droit de la distribution, mais l’appropriation privée de marchés, géographiques et économiques. Les deux datent du 13 janvier et témoignent d’une même philosophie liberticide. La première opposait deux géants de la grande distribution alimentaire à l’occasion d’un litige courant en la matière (Com., 13 janv. 2021, n° 19-17.051). Un petit distributeur affilié à l’un des réseaux du secteur était passé d’une enseigne à l’autre. Furieuse de perdre ainsi un point de vente, l’enseigne quittée avait ainsi poursuivi la tête du réseau rejoint pour complicité de violation de la clause restrictive de concurrence que le contrat d’affiliation stipulait très classiquement.
Violation des obligations contractuelles
La cour d’appel de Paris lui avait donné raison, considérant que la société Carrefour, car c’était elle que l’affilié avait décidé de suivre, connaissait les stipulations du contrat de franchise litigieux et avait connaissance, en sa qualité de professionnel aguerri de la grande distribution, de l’existence courante d’un droit de préemption au profit des franchiseurs. Ne stipulait-elle pas elle-même ce type de clauses dans ses propres contrats d’enseigne ? Dans son pourvoi, Carrefour faisait valoir que cela ne suffisait pas : les magistrats n’avaient mis en avant aucun élément permettant de justifier qu’elle avait aidé positivement l’affilié à contourner le droit de préférence contractuel. Mais la Cour de cassation balaie l’argument : Carrefour avait participé en connaissance de cause à la violation, par l’affilié, des obligations contractuelles qui le liaient à son ancien partenaire. On dira que la solution est réaliste. Elle n’en a pas moins pour conséquence fâcheuse de restreindre la mobilité inter-enseignes et de verrouiller un peu plus encore le secteur de la grande distribution alimentaire !
Protocole transactionnel
La seconde portait sur l’interprétation d’un protocole transactionnel. Conclu entre la tête d’un réseau de salles de fitness et l’une de ses associées, il prévoyait une clause de non-concurrence réciproque interdisant d’implanter, de quelque manière que ce soit, en direct ou par personne interposée, sous forme de franchise ou autres, un centre de fitness à l’enseigne de ce réseau sur diverses communes. Seulement ce protocole avait acte qu’à sa date de conclusion, la tête de réseau avait déjà ouvert, sous son enceinte un centre de fitness situé dans l’une des communes visées, ledit centre étant exploité par un partenaire en vertu d’un contrat de licence de marque. Or, celui-ci comprenait une clause qui autorisait le partenaire à ouvrir d’autres centres dans la zone. Et la tête de réseau l’avait autorisé à ouvrir une autre salle… Litige donc. La cour d’appel avait fait prévaloir la liberté au motif que le protocole transactionnel faisait nécessairement référence au contrat de licence de marque. Mais la Cour de cassation censure : certes, le protocole relevait l’ouverture antérieure d’un centre exploité mais il n’en demeurait pas moins que
“le concédant le pouvait accorder au franchisé l’autorisation prévue par le contrat de licence de marque d’ouvrir de nouveaux centres dans la zone concernée”. L’affilié, qui n’avait rien demandé, ne pouvait donc ouvrir son centre alors même que son contrat l’y autorisait ! Alors ? Libérale, la Cour de Cassation ?