Si le confinement devrait prendre fin à partir du 11 mai, aucune date de ré-ouverture des restaurants et des commerces n’a été dévoilée. Pour les enseignes, il est donc nécessaire de s’adapter à cette situation qui perdurera encore quelques semaines. Le point avec Thomas Husson, vice-président et principal analyst chez la société de conseil Forrester.
Selon vous, qu’est ce que cette crise va changer ?
Il y a deux sujets pour les enseignes. Il y a celui de
la gestion de crise pendant le confinement et il y a celui de l’après Covid-19 en intégrant concrètement ce que la crise va changer. Tant dans les comportements des consommateurs que dans leurs habitudes d’achat. On ne sait pas ce qui sera pérenne dans ces nouveaux modes de consommation que nous voyons émerger aujourd’hui et on ne sait pas non plus comment les valeurs des consommateurs vont évoluer. On voit bien qu’il y a
une attente forte autour du commerce de proximité et de tout ce qui est sanitaire et sécurité alimentaire. Les consommateurs sont soucieux des marques qui produisent localement et font davantage des achats locaux. Cette crise renforce aussi l’importance de la protection de l’environnement et fait émerger d’autres valeurs comme la solidarité, l’engagement sociétal notamment d’un certain nombre de marques et de retailers qui ont pris des initiatives. Sur le long terme, les marques peuvent être assez durablement affectées par la façon dont elles ont réagi pendant la crise. D’abord dans la manière dont elles ont communiqué auprès de leurs consommateurs. L’impact sera certainement positif si elles n’ont pas adopté une communication simplement opportuniste mais ont montré une vraie authenticité dans leurs discours et leurs engagements. Les enseignes qui ont réussi à maintenir un certain fil rouge vis-à-vis des consommateurs, en ayant une logique plus servicielle, même si pour beaucoup elles ne pouvaient plus vendre de produits, auront forcément une image positive. La façon dont elles ont traité leurs employés aura également un impact sur leur image au long terme. Au-delà des conditions sanitaires, c’est un enjeu important car de plus en plus, les consommateurs et employés sont attentifs à cet aspect qui peut avoir un impact durable sur la marque.
Quels sont les enjeux qui attendent les commerçants, les restaurateurs et plus largement les enseignes au moment de la reprise ?
La question va être de savoir comment se préparer au déconfinement et à la reprise progressive du travail. Et surtout à la façon dont on va pouvoir mettre en place de nouvelles façons de travailler en respectant la distanciation sociale et les gestes sanitaires. Tout cela peut avoir, par exemple, un impact sur le nombre de pauses à accorder aux employés pour qu’ils aient le temps nécessaire de se laver les mains. Il va falloir être en mesure de tester et piloter. Je pense qu’il va y avoir une phase de transition pour que les enseignes s’adaptent en matière d’agencement des postes de travail ou d’accueil des clients et que cela va mettre un peu de temps pour que nous revenons à une activité normale. Une chose est certaine :
les comportements et les habitudes des consommateurs vont changer.
D’après vous, les enseignes devront forcément s’adapter aux impacts qu’aura eu cette crise ?
C’est inévitable. À l’heure actuelle, beaucoup sont encore
dans la gestion de crise opérationnelle, c’est normal. Mais pour les marques et les enseignes, cette période inédite est clairement l’opportunité de prendre du recul, de penser différemment et de pivoter la stratégie si nécessaire. S’il y a beaucoup d’incertitudes sur l’après coronavirus, il y a tout de même des choses que peuvent faire les enseignes, notamment en apportant du service. Que ce soit des leçons de cuisine pour un restaurateur, de la livraison pour un commerce alimentaire ou bien du contenu vidéo pour une marque de cosmétiques. Cette approche servicielle permet
de garder le lien avec le consommateur et c’est essentiel en ce temps de crise.
Justement, quelles sont les tendances que cette crise sanitaire a fait émerger ?
Comme toute crise, la Covid-19 a confirmé certaines tendances. On voit notamment
l’explosion du paiement sans contact. Ce n’est pas nouveau mais son utilisation s’est accélérée et cela va sûrement perdurer. Il n’est pas fou de penser qu’après la crise le plafond de la transaction par ce mode de paiement risque d’être revu à la hausse. Certains pays l’ont déjà fait. Il est également possible que l’automatisation d’un certain nombre de tâches risque de s’accélérer, notamment sur les caisses. Est-ce que certains acteurs ne vont pas vouloir accélérer le déploiement de caisses automatiques ? C’est possible. Il peut y avoir également la même tendance dans les entrepôts. Et incontestablement, il y aura un accroissement du e-commerce sur le long terme. Ce mode de consommation était déjà en forte croissance, même si 85 à 90 % des achats continuaient à se faire en magasins physiques. Selon moi, il y aura une vraie accélération des ventes Internet après le confinement, notamment sur l’alimentaire. Avec la crise, beaucoup de consommateurs ont découvert par exemple les courses via le drive. Si tous ces nouveaux utilisateurs ne continueront pas à effectuer leurs achats de cette façon-là une fois le déconfinement acté, on peut raisonnablement penser qu’une partie significative conservera cette nouvelle habitude, considérant cela plus souple, plus pratique et rapide.