Fin octobre, le tribunal de commerce de Rennes a contraint Domino’s Pizza a revoir deux clauses de ses contrats de franchise, ainsi que sa pratique de fixation des prix de vente. Une décision qui, en l’absence d’appel de la part de Bercy, pourrait forcer les franchiseurs à faire preuve d’une plus grande vigilance lors de la rédaction de leurs contrats.
Le 22 octobre, le tribunal de commerce de Rennes a rendu son verdict dans le cadre d’un contentieux opposant Domino’s Pizza France et le ministère de l’Économie, soutenu par 36 franchisés. 9 clauses de contrats de franchises du réseau Pizza Sprint (repris en janvier 2016 par Domino’s Pizza), étaient dans le collimateur de Bercy depuis qu’une enquête de la Direction de la Concurrence (DGCCRF) avait relevé des “déséquilibres” potentiels dans les droits et obligations des parties, susceptibles de générer une “soumission” des franchisés.
Sur ces 9 clauses, 6 ont été déboutées, mais 3 autres ont abouti à l’obligation pour Domino’s de revoir sa copie. Selon le jugement, le tribunal a d’abord reconnu le “caractère déséquilibré” de la clause dite “d’intuitu personae”, qui désigne normalement le fait que le contrat de franchise est signé “en considération de la personne”, c’est-à-dire que le franchisé et le franchiseur se choisissent mutuellement pour ce qu’ils sont. “Mais le juge a considéré que cette clause n’était pas réciproque, mais asymétrique, le franchiseur pouvant librement céder le contrat à qui il le souhaitait, au détriment du franchisé”, indique Clémence Casanova, avocate au sein du cabinet Link&A.
Selon le tribunal, Pizza Sprint, “avec à peine plus de 80 points de vente et une implantation régionale limitée”, était, avant 2016, “un petit réseau, et certains franchisés ont évidemment signé un contrat de franchise au regard de la personnalité même du dirigeant de l’époque”.
En outre, le juge estime que “sans qu’il soit question que les franchisés puissent contrôler l’administration et la détention du capital du franchiseur et partant de bloquer toute cession du réseau”, un bon équilibre du contrat aurait dû permettre aux franchisés, en cas de modification de l’actionnariat ou des dirigeants du franchiseur, “de résilier sans indemnité le contrat de franchise.”“La solution aurait sûrement été différente dans le cadre d’un grand réseau. Le tribunal a considéré que normalement, c’est l’enseigne et le savoir faire du franchiseur qui convainc le franchisé, mais que dans le cadre d’un petit réseau, la personne physique du dirigeant a un rôle important dans sa décision”, explique Me Casanova.
Le juge a finalement prononcé la nullité de cette clause, et ordonné à Domino’s Pizza France de la modifier. “Si cette décision n’est pas annulée suite à un recours en appel, elle signifiera que tout jeune réseau devra dorénavant prévoir une clause d’intuitu personae réciproque. Mais cela entraînera des conséquences importantes pour le franchiseur, car cela impactera forcément la valeur du réseau : dans l’hypothèse où il souhaiterait vendre à un tiers, il aurait moins de marge de manœuvre”, ajoute l’avocate.
Une cessation du contrat “déséquilibrée”
Dans son jugement, le tribunal reconnaît aussi le caractère déséquilibré de la clause qui fixe les modalités de cessation du contrat de franchise. En effet, en cas de résiliation par le franchiseur (pour faute du franchisé), il prévoit que ce dernier doit verser au réseau une indemnité “égale au montant des redevances qui auraient été exigibles jusqu’au terme normal du contrat”, avec un plafond de 50 000 euros ; tout en précisant qu’a contrario, “aucune indemnité ne sera due au franchisé à l’expiration du contrat, qu’elle qu’en soit la cause”.
Pour le tribunal de commerce, la notion de “quelque cause que ce soit” va “très nettement au-delà de cette simple hypothèse de non-renouvellement du contrat, et crée un déséquilibre, par exemple dans le cas d’une résiliation aux torts du franchiseur”.
Selon Clémence Casanova, “la situation aurait été différente si la clause avait été formulée autrement, et qu’elle écartait seulement l’indemnisation du franchisé dans l’hypothèse où le contrat arrivait à échéance, et non dans tous les cas, notamment en cas de résiliation du contrat pour manquement du franchiseur.” Là encore, le juge a prononcé la nullité de la clause, et contraint Domino’s Pizza à revoir son contenu.
Une “tentative de soumission” pour la fixation des prix de vente
Enfin, une troisième clause était visée par le ministère : celle consacrée à la fixation des prix de vente. Selon Bercy, “un déséquilibre existe” du fait que le franchisé “ne peut pas fixer librement ses prix.”
Mais le tribunal a considéré que les franchisés du Groupe Domino’s sont libres de fixer leur prix de revente, et qu’il n’y a “aucune soumission”. Toutefois, il constate “qu’il ressort clairement qu’ils se heurtent à de nombreuses difficultés (techniques) quand ils souhaitent changer les prix recommandés par la tête de réseau”, en raison d’un logiciel de caisse difficile à utiliser.
“Il n’y a pas soumission, mais tentative de soumission, car il est difficile de changer les prix en pratique, en raison d’une défaillance sciemment menée”, explique Clémence Casanova. Le tribunal a ainsi ordonné à Domino’s Pizza France de “permettre au franchisé de pratiquer ses propres prix au moyen d’un outil informatique adapté.”“Ce jugement risque fort de faire l’objet d’appels. Mais si ce n’est pas le cas, les franchiseurs en règle générale devront faire très attention à la rédaction des clauses de leurs contrats de franchise”, conclut l’avocate.