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Comptes prévisionnels : la transmission par le franchiseur ne dispense pas le franchisé d’en établir

(1ère Partie) Le caractère dolosif des comptes prévisionnels est une question régulièrement évoquée dans le contentieux du droit de la franchise. L’arrêt du 7 octobre 2015 de la cour d’appel de Paris (RG n°13/09827) suscite l’intérêt car il rassemble dans sa motivation pas moins de quatre règles fondamentales relatives aux comptes prévisionnels, clairement explicitées. Il en exprime une cinquième, moins souvent avancée en jurisprudence : la transmission de comptes de résultats prévisionnels par le franchiseur ne dispense pas le franchisé d’en établir lui-même. Cinq règles à retenir, par François-Luc Simon, avocat associé gérant Simon Associés, docteur en droit et membre du Collège des experts de la FFF. Règle n°1 : C’est habituellement au franchisé, commerçant indépendant, d’établir ses propres prévisionnels   Règle n°2 : Lorsque le franchiseur transmet des comptes prévisionnels, il doit communiquer des informations sincères et vérifiables Ces deux règles sont réaffirmées comme suit par la décision commentée : “Considérant que si le franchiseur n’est pas tenu de remettre un compte d’exploitation prévisionnel au candidat à la franchise, aux termes du 6° de l’article R.330-1 du code de commerce, le document d’information pré contractuelle doit contenir‘la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l’exploitation’ ; qu’il appartient ensuite à chaque franchisé d’établir son compte prévisionnel à partir de ces données ; que si le franchiseur remet un compte d’exploitation, il doit donner des informations sincères et vérifiables”. Ces règles sont pleinement justifiées et sont régulièrement affirmées en jurisprudence. Pour ce qui concerne la règle n°1, le franchisé est un commerçant indépendant (Cass. com., 7 oct. 2014, pourvoi n°13-23.119, Juris-Data n°2014-023200) et, en cette qualité, la règle selon laquelle c’est à lui d’établir ses comptes prévisionnels participe du simple bon sens ; tout chef d’entreprise ne doit-il pas s’intéresser, par nature, à la rentabilité de son activité, actuelle ou future ? De plus, il lui appartient d’autant plus d’effectuer ces projections que les comptes de résultats prévisionnels comportent à la fois des comptes de charges, qui dépendent des dépenses qu’il est seul à même de pouvoir décider, et des comptes de produits, qui dépendent précisément, en grande partie, des moyens financiers et humains que le chef d’entreprise décide d’engager (lesquels se traduisent par les projections émises dans les comptes de charges). Ainsi, la règle qui veut qu’il n’appartienne pas au franchiseur d’établir des comptes prévisionnels et le rattachement de cette règle à l’idée de bon sens que le franchisé est un commerçant indépendant apparaît dans des décisions anciennes (v. par ex., CA Paris, 7 déc. 2005, Juris-Data n°2005-296362 : l’établissement du compte d’exploitation prévisionnel “incombe nécessairement” au franchisé “sauf à méconnaître directement l’autonomie inhérente à tout commerçant indépendant” ; voir aussi, CA Paris, 23 nov. 2006, Juris-Data n°2006-339929 ; CA Paris, 5 juill. 2006, Juris-Data n°2006-312416 ; Trib. com. Paris, 17 janv. 2006, Juris-Data n°2006-304909). Pour ce qui concerne la règle n°2, il est évident que le franchiseur doit communiquer des chiffres prévisionnels sincères et qu’il doit être capable d’en justifier ; il connaît par nature les chiffres réalisés par les membres de son réseau (et ses succursales) et, de manière plus générale, son activité, son enseigne et ses spécificités, le marché sur lequel il évolue, l’état de la concurrence, les chiffres du secteur, etc. Cette visibilité lui confère les moyens de pouvoir transmettre des chiffres prévisionnels fiables même si, par nature, les prévisionnels ne tombent jamais juste et doivent, dans la représentation que son auteur ou son destinataire doit s’en faire, comporter une certaine marge d’erreur. Mais, à partir du moment où le franchiseur dispose de telles informations, il est logique qu’il soit à même de pouvoir justifier les chiffres qu’il avance, par exemple, par comparaison avec les chiffres existants des membres de son réseau et/ou de ses succursales, ou encore avec les chiffres existants des concurrents en situation voisine ou comparable. La jurisprudence exige donc logiquement du franchiseur ayant transmis des comptes prévisionnels de communiquer des informations sincères (CA Paris, 10 sept. 2014, RG n°10/14533). Ainsi, l’obligation de sincérité imposée par l’article L.330-3 du code de commerce s’étend, selon la jurisprudence, aux comptes prévisionnels, comme la cour d’appel de Paris l’a très clairement exposé dans un arrêt du 4 décembre 2003 (Juris-Data n°2003-233437). Corrélativement, la jurisprudence exige du franchiseur ayant transmis des comptes prévisionnels de pouvoir justifier, non pas tant des chiffres avancés, que du sérieux de la méthode utilisée (CA Orléans, 26 oct. 2006, RG n°05/03269 ; CA Montpellier, 15 nov. 2005, RG n°04/00165 : pour des comptes prévisionnels “établis sur des bases purement théoriques et des conseils lourdement erronés” ; CA Paris, 1er déc. 1999, Juris-Data n°1999-117888).   Règle n°3 : L’existence d’un écart entre les comptes prévisionnels fournis par le franchiseur et les résultats effectifs de l’exploitation de son commerce par le franchisé ne constitue pas en tant que telle la preuve de l’insincérité desdites prévisions évoquée à la règle n°2. Cette règle est réaffirmée comme suit par la décision commentée : “l’existence d’un écart entre les prévisions fournies à titre indicatif et les résultats effectifs de l’exploitation ne constitue pas en tant que tel la preuve de l’insincérité ou de l’irréalisme manifeste des dites prévisions, le franchisé comme tout professionnel du commerce se devant d’apprécier la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui sont faites dans la mesure où celles-ci ne comportent de la part du promettant aucune obligation de résultat”. Elle est pleinement justifiée et est régulièrement affirmée en jurisprudence. Pour ce qui concerne la règle n°3, la jurisprudence assoit son approche du caractère sincère (ou non) des comptes prévisionnels du franchiseur sur la comparaison des résultats obtenus et des résultats promis. Ainsi, l’insincérité des comptes prévisionnels, ou leur caractère grossièrement erroné, est généralement présumée en présence d’écarts supérieurs à 40 % entre les résultats obtenus et les résultats annoncés, encore que – même dans ce cas de figure – le franchiseur pourra exciper de facteurs propres à justifier un tel écart, qu’il s’agisse : – de facteurs intrinsèques à l’activité : mauvaise gestion du franchisé, insuffisance des forces de vente, non-respect du concept, de la gamme et/ou de la politique de prix propres à l’enseigne, dissimulation du CA (Cass. com., 17 mars 2015, pourvoi n°13-24.853 (implicite) : relevant qu’il n’était excipé d’aucune faute de gestion) ; – ou de facteurs extrinsèques : arrivée de concurrents directs ou indirects dans la zone de chalandise, travaux de voiries, etc. (CA Paris, 18 févr. 1998, Juris-Data n°1998-024288). À l’inverse, l’insincérité des comptes prévisionnels, ou leur caractère grossièrement erroné, est généralement écartée en présence d’écarts inférieurs à 40 % entre les résultats obtenus et les résultats annoncés.

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