Avec le savoir-faire, la marque constitue le cœur de l’actif immatériel du franchiseur. Ce dernier doit donc y apporter une attention particulière, la valoriser et mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à sa protection. Explications par Jean-Baptiste Gevart, avocat, cabinet GM Avocats.
L’espoir premier d’un franchiseur est que sa marque connaisse la plus grande renommée possible et qu’elle soit utilisée le plus souvent possible en association avec les produits et services qu’il propose au public.
Si la renommée est un destin particulièrement favorable pour une marque, le franchiseur doit cependant veiller à ce que, par excès de notoriété, elle ne finisse par entrer dans le langage courant pour désigner le produit ou le service auquel elle est associée. La marque se banaliserait, se vulgariserait, dégénérerait.
Dans cette hypothèse, s’il demeurait passif, le franchiseur s’exposerait à une sanction redoutable. Le code de la propriété intellectuelle prévoit en effet que :
Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait :
La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service.
Cette disposition fait miroir à l’article L. 711-2 du même code, qui empêche l’enregistrement, à titre de marque, des “signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service”.
Est ainsi sanctionnée la perte du caractère distinctif de la marque au cours de sa vie. La déchéance des droits a pour conséquence que la marque devient inopposable aux tiers. Les concurrents peuvent alors en user librement.
Pire encore, en cas de déchéance des droits, la validité des contrats de franchise pourrait être remise en cause : en effet, l’octroi d’une licence de marque au franchisé par le franchiseur est en effet une obligation essentielle du contrat de franchise. Or, si le franchiseur est déchu de ses droits et que la marque est dégénérée, il ne peut plus la donner à licence. La déchéance de la marque serait ainsi susceptible de causer l’annulation des contrats de franchise et, in fine, la déstructuration du réseau du franchiseur.
La passivité du franchiseur, cause de la déchéance de ses droits sur la marque.
La déchéance de la marque sanctionne la passivité d’un titulaire de droits ne protégeant pas sa marque contre ce risque de dégénérescence.
Dans un arrêt “Fax2Mail”, la cour d’appel de Paris a eu l’occasion de retenir :
“Considérant que les pièces de la procédure, et notamment, les propositions commerciales de diverses sociétés proposant ce type de service, établissent que postérieurement au dépôt de la marque, le signe ‘Fax2Mail’ est devenu dans le langage courant du public pertinent, à savoir les entreprises utilisatrices, la désignation usuelle d’un service de réception de télécopie par messagerie électronique ;
Considérant que ces éléments sont en outre corroborés par les résultats proposés par les moteurs de recherche Google et Yahoo sur requête du signe ‘Fax2Mail’, dont le nombre, de l’ordre de 130 000 et de 210 000, atteste de l’ampleur de la commercialisation d’un tel service sous la dénomination ‘Fax2Mail’ ;
[…] Considérant qu’il résulte de ces observations que la société Comparatel, alors qu’elle était habilitée à agir en qualité de titulaire de la marque à compter du transfert de propriété enregistré à son bénéfice, s’est montrée passive face à l’utilisation, qui commençait à entrer dans le langage courant en 2007, du signe ‘Fax2Mail’ pour désigner le service de conversion de fax en mail et la présente procédure n’est pas de nature, dès lors qu’elle est initiée tardivement, à justifier d’une défense de sa marque”.
Face à un risque de dégénérescence, le titulaire d’une marque a donc intérêt à agir systématiquement pour faire cesser les troubles, sous peine de déchéance de ses droits.
Dans un arrêt “pina colada”, la Cour de cassation notait également que :
“Mais attendu qu’ayant retenu que, si la société Bardinet était intervenue dans certains cas pour s’opposer à l’utilisation du signe enregistré, elle était restée passive face à l’emploi généralisé de l’expression “pina colada” pour désigner un cocktail alcoolisé à base de jus de fruits, notamment dans des livres de recettes, sur un site Internet, et sur les cartes de bars ou d’entreprises de restauration exploitant de nombreux établissements, la cour d’appel, sans subordonner la déchéance à l’absence de poursuites systématiques de la part du propriétaire de la marque, a pu, appréciant souverainement son comportement au regard de l’emploi de ce signe, décider que la marque était devenue de son fait la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service”.
A contrario, dans un arrêt “pedalo”, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence approuvait l’action constante du titulaire des droits pour protéger sa marque contre toute dégénérescence, malgré l’usage généralisé de la marque “pedalo” dans le public pour désigner un produit bien connu :
“qu’en l’espèce Monsieur Bernard Borrely a manifesté avec une constance jamais démentie son opposition à ce que la marque Pedalo soit utilisée communément pour désigner tous engins nautiques à pédales ; qu’à cet égard le nombre très important de procédures qu’il a fait mener pour la protection de sa marque, comme le grand nombre de mises au point ou de mises en garde qu’il a adressées à la presse, aux professionnels de son secteur d’activité ou aux éditeurs de dictionnaires révèlent qu’il n’a pas consenti à ce qu’il considère comme un abus de langage ; que Monsieur Bernard Borrely a agi pour faire en sorte (avec un succès très relatif) que la marque pedalo ne soit pas perçue dans le public comme la désignation générique des embarcations légères à flotteurs mues par une roue à pédales ; que la condition tenant à l’inaction du titulaire de la marque en vue de la défense de ses droits conférés par l’enregistrement est à l’évidence non remplie”.
Ces exemples ont ceci en commun qu’ils concernent des marques de très grandes renommées et que le risque pour les titulaires de droit est la perte de tous leurs investissements sur leurs marques et la libre utilisation de celles-ci par leurs concurrents.
L’action du franchiseur est déterminante pour lutter contre la dégénérescence de la marque.
La titularité d’une marque connaissant le succès impose ainsi au franchiseur d’être particulièrement vigilant face aux situations de risque juridique.
Le franchiseur, titulaire d’une marque, doit ainsi :
– mettre en place une veille préventive destinée à suivre les usages de sa marque ou de signes approchants par ses concurrents, ses clients mais aussi la presse ;
– adresser des courriers de mise en garde et de mise en demeure de ne plus utiliser sa marque comme un signe commun désignant un produit ou un service ;
– engager des actions en justice, y compris des actions en contrefaçon, contre toute personne participant à la dégénérescence de sa marque.
Ces précautions particulières constituent un investissement fondamental pour la protection de la marque du franchiseur et, in fine, la pérennité de son réseau de franchise.