Les systèmes informatiques des réseaux de franchise permettent souvent de remonter les données de la base, ce qu’on appelle le reporting. Si la pratique peut interpeller les jeunes franchisés, elle est légale à partir du moment où les modalités sont bien explicitées dans le contrat. L’entrepreneur adhérent n’en est pas moins libre de discuter de l’utilité de cet outil avec son franchiseur.*
Reporting : outil de management qui permet de faire remonter les données des franchisés à la tête de réseau. Tout type d’informations peut être concerné : le chiffre d’affaires, le nombre de clients, le ticket moyen des achats, la gestion des stocks… Or, ces entrepreneurs étant indépendants, n’y a-t-il pas dans cette demande de transmission d’informations une tentative de surveillance, voire d’ingérence de la part du franchiseur ? Jean-Baptiste Gouache, avocat associé au cabinet Gouache Avocats, balaie l’argument d’un revers de main. “L’ingérence porte sur l’intervention du franchiseur dans le quotidien du franchisé, explique-t-il. Cela concerne le fait d’imposer des prix, des horaires d’ouverture, un règlement intérieur ou d’embaucher ou sanctionner du personnel en lieu et place de celui-ci. Obtenir des informations en vue de réaliser des analyses statistiques, c’est voir et non pas agir.”
Big Brother is watching you ?
D’un point de vue du droit, donc, il n’y a aucun problème à ce que le franchiseur ait un œil sur les données propres du franchisé. Néanmoins, Serge Méresse, avocat au sein du cabinet SCP Threard Bourgeon Méresse & Associés, rappelle qu’il n’y a aucune obligation légale qui impose a priori au franchisé de faire remonter ces données. “Cela devient une obligation quand le contrat de franchise l’impose, précise-t-il. Le périmètre d’application dépend de chaque contrat. Parfois il suffit de donner chaque année le bilan en fin d’exercice. Il peut y avoir l’obligation de faire des situations comptables plus régulières, comme le fait de transmettre le CA de manière périodique. Cela peut être quotidien, comme pour les contrats d’affiliation, toutes les semaines ou tous les mois avec justification par la communication de déclaration de TVA, pour savoir si le CA annoncé, qui est l’assiette des redevances, est bien conforme à la réalité.”
Mais le fait est que l’informatisation progressive des réseaux rend presque automatique ce transfert de données des adhérents aux responsables d’enseigne. Cela dit, les franchiseurs n’ont pas non plus un droit de regard inconditionné sur l’activité de leurs franchisés. La manière dont ces données remontent à la tête de réseau et l’utilisation qu’en fera le franchiseur doivent clairement être explicitées dans des clauses spécifiques au sein du contrat.
Soutenir le franchisé
Car a priori, les pratiques de reporting ont pour objectif affiché de repérer les difficultés des franchisés en amont pour les désamorcer et faire évoluer le réseau. “Le reporting permet aux franchiseurs de faire du benchmarking, de situer les franchisés les uns vis-à-vis des autres, défend Jean-Baptiste Gouache. Les têtes de réseaux peuvent détecter les problèmes graves, équilibrer l’animation et apporter une aide en fonction des besoins. Cela permet d’avoir une vision claire de la santé des franchisés et de mesurer les outils testés, par exemple si le franchiseur propose une opération de baisse des prix. Il y a donc un intérêt commun au partage des données.” Le caractère quasi-instantané de ce transfert permet en effet d’être plus réactif qu’à l’époque du reporting papier annuel. “Si un franchisé allait mal, on s’en rendait compte trop tard, quand il était déjà en dépôt de bilan !”, souligne Jean-Baptiste Gouache. Or, cela ne vaut qu’à condition que le franchiseur exploite effectivement ces données… Selon Serge Méresse, certains réseaux imposent cette remontée uniquement pour vérifier et contrôler. Mais le fait est que le franchisé ne peut se soustraire à l’exercice si des clauses précisent les modalités du reporting dans le contrat. Négocier ce genre de clause paraît difficile, au vu de l’harmonisation des systèmes informatiques au sein d’une même enseigne, mais a priori pas impossible. “Avant, on avait tendance à dire que rejoindre un réseau, c’était signer un contrat d’adhésion, rappelle Jean-Baptiste Gouache. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Le franchisé peut choisir de négocier le contrat s’il y a un déséquilibre significatif.” Concernant les clauses de reporting, à défaut de pouvoir vraiment les modifier, le futur franchisé pourra néanmoins questionner le franchiseur avant signature pour savoir quelles informations sont concernées et l’usage concret qui en est fait.
La question du fichier clients
Parmi les sujets sensibles liés au reporting, la question du fichier clients est sûrement l’une de celles qui taraudent le plus les franchisés. Mais là encore, selon Jean-Baptiste Gouache, le problème ne se pose pas. “Le franchisé pense que la clientèle lui appartient, or c’est une erreur légale. La clientèle est attachée au service spécifique du franchiseur.” Il n’y a donc pas à se poser de question sur la légitimité ou non de ce dernier à réclamer la remontée de ces informations. “La jurisprudence en la matière a évolué en 2002 avec l’arrêt Trévisan, précise toutefois Jean-Baptiste Gouache. Le franchisé s’est vu reconnaître une clientèle locale par la Cour de cassation car il a mis en œuvre à ses risques et périls un ensemble de moyens corporels et incorporels pour conquérir une clientèle.” En même temps, la Cour de cassation a jugé qu’une clientèle nationale restait attachée à la notoriété de la marque du franchiseur. Désormais, deux situations prévalent. “En absence de clause figurant dans le contrat sur la question, la jurisprudence va chercher à voir à qui appartient la clientèle, explique Jean-Baptiste Gouache. Dans deux cas de jurisprudence, l’un concernant Yves Rocher et l’autre Intermarché, la clientèle a été reconnue comme étant attachée à l’enseigne et non au franchisé.” Second cas de figure, si la clause dit qu’il existe un usage partagé, l’attachement de la clientèle est convenu entre les parties. Le contrat détermine alors qui est responsable du fichier clients, ce qui peut être le franchiseur comme le franchisé, sans toutefois prémunir celui-ci de devoir reporter ces données à la tête de réseau quand le contrat le requiert.
*Article publié dans le numéro du mois de mars de L’Officiel de la Franchise.