Suite à la condamnation de La Pataterie en date du 6 mars, Jean-Baptiste Gouache, avocat-associé Gouache Avocats, nous livre son regard sur cette décision, qu’il juge surprenante.
Par ordonnance de référé du tribunal de commerce de Limoges, du 6 mars 2015, le franchiseur de l’enseigne La Pataterie, a été condamné à fournir à un de ses franchisés des pommes de terre conformes à la description qualitative qui en était faite dans le contrat de franchise, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
La clause d’approvisionnement du contrat était libellée de la manière suivante : “Le franchisé s’engage à servir à la clientèle les produits exclusivement référencés et correspondant à la carte La Pataterie, et notamment les pommes de terre labellisées par le CNIPT sous la catégorie ‘pomme cuite au four’ de calibre 75 ou supérieur, d’un poids de 500 grammes ou supérieur”.
Obligation de fourniture ?
1/ Le franchisé plaidait dans ses écritures que le franchiseur l’obligeait à s’approvisionner auprès d’un fournisseur nommé en pommes de terre, et se plaignait de la défaillance chronique de ce fournisseur à assurer la livraison de produits conformes à la description contractuelle, le défaut de conformité étant prouvé par plusieurs constats d’huissier.
La décision du tribunal est pour le moins surprenante en droit. En effet, le franchiseur n’est débiteur d’aucune obligation de fourniture : le défaut d’exécution pesait sur le fournisseur référencé par le franchiseur. À ce titre, le juge des référés n’aurait pas dû obliger le franchiseur à fournir le franchisé. La clause d’approvisionnement auprès de fournisseurs référencés n’implique absolument pas une obligation de fourniture de la part du franchiseur. Le tribunal transforme une obligation du franchisé en obligation du franchiseur. L’ordonnance devra être réformée en appel sur ce point.
Clause d’approvisionnement exclusif ?
2/ Le juge qualifie cette clause de clause d’approvisionnement exclusif. Or, à sa lecture, il n’est pas sûr que ce soit une clause d’approvisionnement exclusif.
Dans l’ordonnance de référé, si on ne lit que la clause de l’article 9, cette clause parle de produits référencés, et semble plutôt indiquer des spécifications objectives de qualité que le franchisé s’oblige à respecter. Les pommes de terre sont classées éventuellement selon la segmentation du CNIPT. La clause vise la catégorie pomme cuite au four de calibre 75 ou supérieur, d’un poids de 500 grammes ou supérieur , ce qui a l’air d’être une spécification objective de qualité que le franchisé doit respecter.
Toutefois, la clause vise les produits “exclusivement référencés”, suggérant qu’au-delà d’une simple obligation du franchisé de respecter des normes objectives de qualité pour son approvisionnement en pommes de terre, celui-ci ne peut acquérir que des produits spécifiquement agréés et référencés. Une obligation d’exclusivité d’approvisionnement pourrait donc avoir été stipulée.
D’ailleurs, quand on lit ce que soutient le franchiseur, il semble que le franchisé doive obligatoirement passer par la plateforme STEF Restauration, ce qui montrerait que la clause référence un ou plusieurs fournisseurs à titre exclusif et ce qui pourrait constituer un aveu judiciaire liant le juge sur la qualification de la clause.
Si telle était l’intention du rédacteur d’acte, la clause manque pour le moins de clarté. En outre, s’il s’agit d’une clause d’approvisionnement exclusif, il y a un doute sérieux sur sa validité, car en matière de pomme de terre, il semble possible de donner des spécifications de qualité objective (notamment variété, poids, calibre, et l’article 9 le prouve puisqu’il en parle), de telle sorte que la stipulation de cette clause ne serait en rien nécessaire à la protection du savoir-faire et de l’identité du réseau. La clause ne serait pas alors exemptée par catégorie. Rappelons qu’en droit européen, si la clause d’approvisionnement exclusif n’est pas indispensable à la protection du réseau, elle n’échappe pas à l’art. 101 §1 TFUE et sa validité est subordonnée à l’obtention d’une exemption individuelle préalable.
En l’espèce, le juge ne s’est même pas posé la question, qui le sera probablement si ce dossier connaît d’autres développements judiciaires.