Une fois passée la phase de découverte entre franchiseur et futur franchisé, les relations entre partenaires se formalisent par le biais du contrat, et ce au risque de perdre ce qui fait la richesse des échanges interpersonnelles. Pour Stéphane Grac, docteur en droit et avocat au Barreau de Nice, il est au contraire primordial de garder le caractère foncièrement humain du système de la franchise.
La franchise est un mode de développement qui a fait ses preuves. Toutefois, ce modèle économique et financier de réitération d’une réussite commerciale est porteur d’un risque significatif de dépersonnalisation des relations interindividuelles, qu’il est important de ne pas sous-estimer. En effet, tout franchiseur qui cherche à développer son réseau peut être entraîné sur le chemin de l’uniformisation et de la perte de singularité des relations entre partenaires. Dans les faits, une fois le contrat signé le candidat franchisé n’est plus perçu comme un interlocuteur incontournable mais se trouve bien souvent relégué à l’état de simple rouage d’une mécanique d’ensemble qui le dépasse, l’englobe et le fait disparaître dans la masse des acteurs du réseau. Ce phénomène est particulièrement accentué dans la mesure où le contrat type qui constitue l’ossature du réseau a tendance à devenir uniformisé et stéréotypé pour s’appliquer à tous au détriment de la spécificité interindividuelle. Par ce biais, le franchiseur introduit dans l’ensemble des relations avec ses franchisés une norme commune.
Acteur neutre et impersonnel
En procédant de la sorte, le responsable du réseau institutionnalise un cadre relationnel unique, lequel est à l’origine de relations standardisées et normées.
Dans les faits, seules quelques adaptations ponctuelles et secondaires liées notamment à la puissance du cocontractant et aux spécificités locales peuvent légèrement atténuer ce double processus d’assimilation et d’intégration. Quoi qu’il en soit, en se standardisant le contrat de franchise n’est pas seulement uniformisé, il induit une dépersonnalisation accrue des relations entre franchiseur et franchisé.
Le contrat devient dans les cas les plus extrêmes un “simple formulaire”, que le titulaire du réseau propose à la signature à ses futurs adhérents par l’intermédiaire d’un de ses représentants. Dans cette optique, le futur franchisé ne se présente plus comme l’interlocuteur privilégié du franchiseur et encore moins comme le partenaire incontournable de leur aventure commune. Il devient un acteur neutre et impersonnel. Le franchisé, ainsi perçu, n’est plus qu’un cocontractant parmi d’autres au service d’un réseau quelque peu “transcendant”. Facilement substituable, il n’est qu’un maillon d’un ensemble qui l’englobe et le dépasse. Dans cette configuration relationnelle, l’intuitu personae, qui constitue le soubassement de la franchise, se trouve réduit à une portion congrue, savoir qu’il ne subsiste plus qu’à l’encontre des qualités prédéfinies du franchisé et encore… Cette tendance à la réification des êtres et à l’uniformisation des comportements est quelque peu inquiétante. En effet, la franchise, de part la spécificité du modèle organisationnel et corporatiste qu’elle véhicule, porte en elle les potentialités de telles dérives. Ainsi, ce qui par certains aspects fait sa force, fait aussi sa faiblesse. Il est dès lors de la responsabilité de tout franchiseur d’être particulièrement vigilant sur le fait que les impératifs structurels et économiques inhérents à la franchise ne l’emportent pas sur les enjeux humains du respect de l’autre et ceux économiques de la réussite commune.
Perdre son âme
Il est ainsi fondamental de conserver à l’esprit que l’homme est au cœur de tout système, quand bien même celui-ci serait profondément intégrationniste, et qu’il ne peut être réduit à un simple rouage d’une mécanique implacable visant à conquérir des parts de marché. Il ne s’agit pas dès lors d’opposer l’homme à la nécessité de l’efficacité professionnelle et économique du réseau mais d’essayer d’articuler ces deux logiques, dans l’intérêt commun bien compris des partenaires. Cette prise de conscience est d’autant plus importante que la franchise, comme tout système corporatif, porte en elle, les germes autodestructeurs de ses propres carences et déviances. Oublier cette réalité, contribue à n’avoir de la franchise qu’une vision instrumentaire, ce qui en soi peut sembler regrettable et qui à terme est contraire à son esprit.
Mais oublier cette évidence, n’est-ce pas quelque part perdre son âme ?