Depuis janvier 2009, les deux périodes annuelles traditionnelles de soldes sont réduites à cinq semaines. Chaque commerçant a par ailleurs la possibilité de choisir deux semaines de soldes supplémentaires, permettant d’organiser des opérations de déstockage ponctuelles. Le franchisé, commerçant indépendant, est-il libre d’organiser ses soldes et ses promotions ?
Par Hubert BENSOUSSAN, Avocat à la cour de Paris, membre du comité scientifique et membre du collège des experts de la FFF.
La vie en réseau est confortable pour le franchisé. Il jouit d’emblée d’un savoir-faire éprouvé. Il ouvre son unité avec une enseigne connue, le consommateur y entre par réflexe. Le chef de réseau le décharge souvent de bien des tâches difficiles ou désagréables. Grâce à l’effet du groupe, le franchiseur peut négocier des systèmes d’information particulièrement élaborés à des prix intéressants. Il gère aussi la signalétique pour toute la communication du groupe. Fréquemment, il assure une veille juridique qui permet aux franchisés d’éviter la glisse. Les franchisés bénéficient aussi des clients grands comptes, d’envergure nationale ou internationale, qui ont besoin des implantations locales des franchisés. Le rôle du chef de réseau est d’autant plus important que son savoir-faire impacte désormais quasiment tous les actes de la vie quotidienne du franchisé. Cette empreinte du franchiseur sur chaque maillon du réseau ne doit pas occulter l’indépendance voulue pour le franchisé. Le contrat de franchise peut vite se transformer en contrat de travail si celui-ci perd la liberté nécessaire, celle qui n’est pas inhérente au respect de l’image du concept. Soyons réalistes, la vraie liberté, celle que valorisait jadis Épictète est un leurre dans le commerce moderne, même pour le commerçant isolé que les multiples tâches journalières emprisonnent. Le franchisé ne peut pas tout faire librement dans un réseau. Ainsi, en principe, il ne peut pas mettre en place unilatéralement une politique de promotion au sein de son unité de vente. La quasi-totalité des contrats de franchise prévoient que toute nouvelle communication du franchisé doit avoir obtenu l’aval préalable du franchiseur. Qu’il s’agisse de promotions ou de tous les autres vecteurs d’informations, la communication constitue le visage du concept, dont le franchiseur est le seul garant de l’image, même s’il doit être attentif aux suggestions des franchisés à ce titre.
L’image du réseau améliorée par une politique de promotion uniforme
Il en résulte que le franchiseur contrôle étroitement la communication du réseau, la publicité, les promotions. Il doit lui maintenir en permanence une belle image unitaire. Mais cela n’est pas facile en pratique. Les intérêts des membres du réseau sont parfois contradictoires. Certains franchisés situés dans des zones fonctionnant parfaitement sans avoir à communiquer rechignent à mettre en œuvre une politique promotionnelle. Pourtant, l’uniformité crédibilise l’enseigne à l’égard d’un consommateur qui a toujours du mal à comprendre comment l’on peut annoncer des prix bas sans les appliquer partout. C’est sans doute pourquoi une majorité de franchisés suit les actions de promotion organisées par les chefs de réseau.
Le franchiseur peut-il contraindre ses franchisés à suivre les opérations promotionnelles ?
Lorsqu’ils refusent de le faire, deux hypothèses se présentent : si le contrat ne prévoit pas de telles actions de promotion, ce qui est rare, le franchiseur doit démontrer qu’elles s’inscrivent dans l’esprit du contrat, voire dans celui du système de franchise, pour tenter de l’imposer aux franchisés. Difficile. Celui qui sera dans une zone peu concurrentielle s’y opposera facilement, et le droit sera à son avantage. Si, le franchisé s’est engagé contractuellement à suivre un certain nombre d’actions de promotion et à s’aligner sur les prix promotionnels fixés par le franchiseur, la contrainte est plus facile, mais elle peut se heurter au droit de la concurrence, car il s’agit là d’une action concertée pour vendre à un prix déterminé. Il reste que la franchise a su s’imposer face au législateur et au juge.
Une évolution de la Commission vers de possibles prix imposés
Déjà, les lignes directrices du dernier règlement d’exemption européen du 20 avril 2010 sont édifiantes. Si elles dénoncent certains effets particulièrement nocifs des prix imposés pour la concurrence, et donc pour le consommateur, elles consacrent un développement assez long à leurs possibles effets positifs dans certaines circonstances. La Commission cite des exemples qui pourraient valider le prix imposé. Dès lors que nous sommes en phase de lancement d’un nouveau produit, le prix imposé peut être utile “pour inciter les distributeurs à mieux tenir compte de l’intérêt du fabricant à promouvoir le produit en question…”;
La commission vise expressément les opérations de promotion organisées par les réseaux de distribution indépendants appliquant un format de distribution uniforme. Elle y voit l’utilité possible d’un prix imposé, en vue d’ “organiser… une campagne de prix bas coordonnée de courte durée…”. Elle fonde cet avis sur l’intérêt du consommateur final. Au-delà de cette évolution notable de la position de la Commission européenne, la jurisprudence admet depuis longtemps, dans l’intérêt du consommateur final, que le franchiseur limite les prix au sein du réseau.
Le danger des prix imposés trop bas
Mais s’il peut interdire aux franchisés de dépasser certains seuils de prix, quand ces seuils sont très bas, tous les franchisés arborent finalement le même prix lorsqu’ils respectent les préconisations du franchiseur. Du fait de leur faible marge bénéficiaire, ils n’ont alors plus aucune latitude. Le système est autorisé, mais attention, si le franchisé démontre que la pratique d’un prix extrêmement bas dans le cadre de promotions fréquentes obligées n’est pas utile pour le fonctionnement de son unité et met son équilibre financier en péril, il disposera de moyens juridiques sérieux pour convaincre le chef de réseau de lui permettre d’y déroger, voire pour lui demander réparation de son éventuel préjudice. Rappelons que le franchiseur est censé conduire ses franchisés au succès et non à leur perte…
Promotion n’est pas prédation
Il faut encore éviter que la campagne prétendue de promotion corresponde plus à une campagne à prix unique sans réelle promotion. Nous serions alors dans le cadre d’une pratique de prix imposés, interdite par loi. Le franchiseur doit veiller à respecter le cadre juridique autorisé. Ainsi, les opérations de promotion ne doivent pas constituer un instrument de prédation. La prédation est une stratégie de prix interdite par laquelle une entreprise dominante réduit ses profits pour éliminer des concurrents. La vente à un prix inférieur au coût moyen variable de l’entreprise constitue une présomption d’intention prédatrice. Face à une semblable stratégie du franchiseur, que l’on a pu voir dans le secteur alimentaire, le franchisé pourrait tout à fait refuser de s’inscrire dans la promotion illicite.
Ces liens qui libèrent…
Gageons que la plupart des franchiseurs ont compris qu’un savoir-faire illicite ou non respectueux d’une belle déontologie voue à l’échec le concept. Sous cette réserve, il est de l’intérêt du réseau que le franchiseur soit le chef d’orchestre de la communication, et donc de toutes les campagnes de promotions. Cette tâche doit être réalisée avec la générosité – naturelle ou raisonnée – qui doit présider à l’exécution de tout contrat d’intérêt commun. Si la vie en réseau implique une perte partielle de liberté pour le franchisé, la qualité exceptionnelle que l’on attend des prestations d’un franchiseur doit permettre de qualifier les facteurs de dépendance inhérents au système de “liens qui libèrent”.