Pour convaincre des franchisés potentiels de rejoindre une enseigne, un concept se doit d’avoir été testé. Et le seul fait de détenir une (bonne) idée ne suffit pas. Une unité “pilote” semble donc indispensable pour roder son projet… Rencontre avec des experts de la franchise et des franchiseurs qui sont passés par cette étape incontournable.
Qui ne s’est pas levé un matin en se disant qu’il tenait l’idée du siècle, celle qui allait révolutionner l’histoire du commerce ? Malheureusement cela ne suffit pas ! Surtout en franchise où l’entreprise est aménée à se développer en réseau. Ce qui marquera en fait la réussite (ou non) de son projet, c’est avant tout le choix de la stratégie commerciale, technique, admnistrative ou encore marketing, autrement dit tout ce qui constitue en franchise la notion incontournable de “savoir-faire”. Et pour réussir à trouver cet équilibre, pas de mystère, il faut tester son projet. Nous parlerons alors d’un point de vente ou d’une unité “pilote” (ou de plusieurs dans certains cas). Pour Chantal Zimmer, déléguée générale de la Fédération française de la franchise : “Ce n’est pas une obligation légale (l’obligation de créer un “pilote” n’est pas par exemple mentionnée dans la loi Doubin, ndlr). En revanche, cela me semble obligatoire d’un point de vue stratégique. Sachant qu’il faudra faire la démonstration de sa réussite pour se développer en franchise, c’est une question de logique. Le ‘pilote’ est un laboratoire de la franchise, un incubateur. La franchise est en fait la réitération d’une réussite, à partir du moment où l’on gagne de l’argent et que l’on peut démontrer que c’est par cette méthode, et pas autrement ! C’est à partir de là que l’on sait si une franchise est prête à être développée.”
Difficile de lancer un commerce en réseau sans “pilote”
Mais évidemment, le développement d’un concept représente dès le départ des investissements très lourds. “Pour développer une franchise, il faut en avoir les moyens”, ajoute Chantal Zimmer. Bernard-Yves Saint-Paul, dirigeant et consultant en marketing et communication de l’agence BYSP & Go Conseil (franchises et réseaux commerciaux), s’est investi dans la réalisation du Hold’em Café, un projet de restauration autour du thème du poker : “Quand on souhaite créer une franchise, évidemment, cela coûte beaucoup plus cher que pour une simple ouverture de restaurant. Il aura fallu investir près de 800 000 euros pour bien peaufiner l’idée de base, en prenant en compte aussi la rédaction de la ‘bible’ (document obligatoire en franchise, confidentiel et remis au franchisé, contenant le “savoir-faire” de l’enseigne, ndlr) et les nombreux déplacements à la rencontre de franchisés potentiels.” Le consultant se souvient de la difficulté pour monter le Hold’em Café. Il faut se remettre dans le contexte. Il y a cinq ans, le poker est en pleine explosion en France. Un phénomène qui n’échappe pas à Christophe Blanquer, l’initiateur du projet. Mais il ne dispose pas des finances suffisantes pour développer un restaurant en nom propre avant de recruter des franchisés. Il fait donc le choix de se passer de “pilote”, en proposant comme alternative la visite d’un restaurant virtuel en ligne (en 3D). Le concept semble très porteur auprès de candidats à la franchise, mais le refrain est alors toujours le même, comme l’explique Bernard-Yves Saint-Paul : “Ils nous disaient à chaque fois qu’ils adoraient l’idée, mais que sans aucun lieu à visiter et pas de chiffres à démontrer devant un banquier, l’investissement risquait d’être compliqué.” L’équipe du Hold’em Café n’a donc pas eu le choix, pour se développer, il fallait absolument trouver des fonds pour ouvrir un restaurant “pilote”, et cette fois-ci bien réel ! Le premier Hold’em Café ouvrira en début d’année 2012.
Tester un concept “à la mode”
Comme dans le cas du Hold’em Café, Sylvain Rey a lui aussi décidé d’entreprendre autour d’un concept “à la mode”. Il a lancé en 2008 Avéo, une société de “home staging” (qui consiste à valoriser et préparer un bien immobilier pour qu’il plaise au plus grand nombre d’acheteurs lors d’une visite), après un voyage au Canada où l’idée est déjà implantée. Mais si le concept fonctionnait bien là-bas, il fallait d’abord le tester pour l’adapter au marché français. Par ailleurs, il fallait aussi faire en sorte de construire un projet à long terme, autrement dit viable, même une fois le phénomène de mode un peu retombé. “Le marché n’existait pas, c’était à nous de le créer. Nous avons dû développer une grosse présence sur le terrain et beaucoup communiquer. Et je ne sais pas comment on aurait fait pour démontrer des résultats, pour affiner notre offre sur le marché sans ‘pilote’”, explique le fondateur d’Avéo. Il souligne aussi l’importance de ce test pour comprendre les zones de chalandise à investir en priorité : “Nous avons notamment compris que notre projet aurait plus de chance de se développer en province qu’à Paris, auprès de la classe moyenne. Ce n’était pas ce qu’on nous conseillait mais à force d’aller sur le terrain, nous avons revu notre positionnement.”
Envisager plusieurs “pilotes” pour tester sa zone de chalandise
Il est donc indispensable de bien identifier dès le départ une zone d’implantation stratégique. Et pour cela, comme le précise Chantal Zimmer : “Plus il y aura de ‘pilotes’ lancés pour développer un projet, et plus les risques seront minimisés !” Le fait d’ouvrir plusieurs magasins en propre dans un premier temps évitera ainsi l’effet “coup de chance” (ou à l’inverse un échec). “Sans plusieurs implantations, il semble assez difficile de savoir si c’est l’emplacement qui est mauvais, ou si c’est le concept qui n’est pas assez bien pensé”, ajoute Bernard-Yves Saint-Paul.
Ce qui compte, c’est la différenciation
De son côté, l’enseigne Literieland, qui comme son nom l’indique est spécialisée dans l’univers de la literie, n’était pour le coup, à son lancement, pas liée à un “effet de mode”. Des boutiques vendant de la literie existaient déjà. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y avait rien à tester, rien à développer. Au contraire, il fallait trouver un moyen de se démarquer ! Rappelons-le, un projet de franchise qui tient la route ne réside pas uniquement dans une idée révolutionnaire. C’est avant tout des produits spécifiques ou encore des enseignes avec des devantures facilement identifiables pour le client… Bref, encore et toujours le fameux “savoir-faire”. Literieland aura attendu près de vingt ans avant d’accueillir ses premiers franchisés ! Petit retour en arrière. Michel Arsac est à l’époque franchisé pour l’enseigne Docks de la Literie. En 1989, il décide de créer sa propre entreprise et ouvre le premier magasin Literieland, ainsi que des succursales (il transforme en fait ses magasins franchisés Docks de la Literie en succursales Literieland). Ce n’est qu’en 2007 que Michel Arsac décide de développer son enseigne en franchise, suite à des demandes de salariés et de professionnels de l’ameublement. Il va alors travailler pendant près d’un an avec une équipe de designers sur la création d’un concept différenciateur. Marielle Planel, directrice des enseignes Literieland, se souvient : “Tous les quinze jours, notre show-room de Valence (Drôme, ndlr) changeait de look. On faisait des tests de couleurs et de matières.” Jusqu’à arrêter leur choix sur une identité visuelle bleue avec une étoile jaune. Le symbole dorénavant de la marque, qui sera ensuite dupliqué dans l’ensemble des huit unités franchisées Literieland (et les dix-neuf succursales). “Oui cela aura mis du temps. Mais c’est au final la validation d’un concept et d’une politique commerciale pérenne.”
Une approche que partage Chantal Zimmer : “Il ne faut pas oublier que le franchiseur est un collecteur d’épargne (le franchisé investit parfois les économies de toute une vie dans un projet, ndlr) et n’a donc pas droit à l’erreur.” Tester son concept avant de développer son enseigne en réseau, c’est aussi protéger au maximum ses futurs franchisés.